Vengeance et Rédemption

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La lune était presque pleine, elle éclairait la clairière entourée d'un mélange de sapins et de hêtres. Dans le ciel, aucun nuage ne venait obscurcir le rideau étoilé. Le paysage était vaste, seulement limité à l'horizon par les barrières montagneuses du Caucase.

Au centre de la clairière, se trouvaient un arbre et un cours d'eau.

L'arbre se tenait dressé vers le ciel, et l'eau coulait paisiblement. Le vent faisait bruisser les feuilles tandis que le courant clapotait autour d'un rocher rond et lisse.

A cette différence que l'arbre n'en était pas un, pas plus que le rocher n'était lui-même un rocher.

Une écorce dure et épaisse couvrait la créature à la semblance d'un arbre. Son corps était long, dépassant les trois mètres de haut, mais il n'avait pas de tronc à proprement parler. Il tenait droit sur deux membres achevés par des sabots. Situés aux deux tiers de sa hauteur, ses bras étaient longs et statiques, tendus vers le sol. Ils se terminaient par des lianes qui tombaient en s'enfonçant dans la terre comme des racines, donnant l'impression qu'il se nourrissait par ce contact. Sur le haut de son corps, sa tête était celle d'un cerf, avec un museau démesuré, affublé d'une dentition prédatrice. Et ses bois, ramifiés, s'élevaient vigoureusement vers le ciel, comme des branches acérées. C'est cela surtout qui lui donnait l'allure d'un arbre, ainsi que son épiderme végétal.

Dans son regard brillait une lueur fauve, et ses naseaux remuaient légèrement, indiquant qu'il respirait, dans un parfait état de conscience.


Des serpents grouillaient au bord de la rivière. Ils quittaient le lit clapotant par dizaines, pour s'aventurer dans les herbes de la clairière. Ils glissaient sur le sol humide et se rapprochaient de la créature qui ressemblait à un arbre. Ils frôlaient ses sabots, s'enroulaient autour de ses lianes. Certains avaient grimpé le long des bras d'écorce, et parcouraient le corps élancé de la créature, sans se préoccuper de sa nature.

L'être-arbre les laissait faire, sans se soucier même de leur présence.

Dans l'eau, ce qui ressemblait à un rocher se redressa. Il s'agissait en réalité du dos d'une créature d'écailles. Une tête de femme émergea de la rivière, en laissant s'écouler l'eau de sa longue chevelure. La tête et le buste se redressèrent, ruisselants. Ils appartenaient à une femme aux yeux en amande, au sourire hypnotisant. Des serpents entouraient son cou, comme des colliers, ainsi que ses poignets, comme des bracelets. 

Elle avança au milieu des remouds, afin de gagner la rive. Elle apparut à la lumière de la lune. Sous son tronc, il n'y avait pas de jambes, seulement une longue robe d'écailles formant une queue de serpent.

La créature-serpent s'arrêta au bord de l'eau, en gardant l'extrémité de sa queue dans la rivière. A peine quelques mètres la séparaient de la créature-arbre, qui n'avait pas esquissé le moindre geste.

– Şahmeran, dit la créature-arbre d'une voix caverneuse.

– Esprit Sylvestre, répondit la créature-serpent.

L'Esprit de la Forêt observait la Şahmeran avec un mélange de ravissement et de méfiance dans le regard. La flamme de sa colère couvait dans ses yeux fauves, même si elle ne désignait pas directement sa visiteuse.

Ces deux êtres appartenaient tous deux à des espèces aussi anciennes que puissantes. Ils ne vivaient pas à la même échelle temporelle que les humains, ni même les vampires, ou aucune des autres espèces les plus courantes du peuple de la nuit. Lorsque les vampires pouvaient prétendre atteindre quatre siècles pour les plus chanceux, les métamorphes à peine la moitié de cet âge, et les autres - hormis les espèces primitives comme les goules - se contentaient d'une longévité proche de l'espèce humaine, la Şahmeran et l'Esprit de la Forêt étaient d'une toute autre trempe.

Milan Lazsco : La Dette [E4 Quadrilogie du vampire] en  coursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant