La Source

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Les escaliers du monastère grinçaient sous les pas de l'Abbesse Gabriela. C'était une femme de quarante ans environ, d'une corpulence modeste, mais assez grande et charpentée. Célia derrière elle ne produisait aucun bruit en gravissant les marches en bois.

Ils atteignaient les pièces les plus hautes du bâtiment, aménagées sous les toitures. Ces endroits étaient mal isolés et des corbeaux venaient y nicher l'hiver pour s'abriter en profitant de quelques trous non comblés. Les greniers servaient peu aux habitants du monastère, qui avait perdu des effectifs depuis les dernières décennies et disposait déjà d'une place suffisante dans les étages inférieurs.

L'Abbesse Gabriela s'arrêta devant une porte rudimentaire, au sommet des escaliers, dans une petite tour de l'aile Est. Il n'y avait pas de serrure, seulement une poignée, mais un cadenas un peu plus haut sur le chambranle. La poussière envahissait les lieux.

– C'est ici, dit-elle.

Tout en invitant Célia à entrer, la responsable du monastère restait en arrière, comme par prudence. La jeune Stryge fit appel d'abord à ses sens psychiques.  Puis ne ressentant pas la moindre effluve, pas une seule trace de présence vivante, pas même animale, elle s'engagea sur le palier.

Elle ouvrit la porte qui s'effaça dans un long grincement. Apparut devant elle une pièce exiguë de dix mètres carrés. Totalement nue, si ce n'était un simple lit pourvu de sommier et matelas, sans couvertures. Auquel s'ajoutait une table et une chaise, placées sous une lucarne circulaire, donnant sur le nord.

C'était ici que Morgath Adelfi avait vécu les dernières années de sa vie.

Morgath Adelfi était la mère de Irina, sa mère biologique selon les affirmations. Cependant, le doute persistait, car si le dossier d'Irina était bien présent, celui de Morgath Adelfi avait disparu, à la notable surprise de l'Abbesse, dont le naturel rigoureux s'en était offusqué.

L'Abbesse Gabriela avait donné les renseignements qu'elle possédait à Célia, mais elles étaient incomplètes : elle n'était arrivée à son poste qu'en 2005, longtemps après la naissance d'Irina, et les informations qu'elle possédait lui venaient des autres Sœurs de l'établissement, plus anciennes. En outre, même celles que Célia avait pu interroger en savaient peu.

Irina était née en 1997, par un beau matin de février. Elle était fille de Morgath Adelfi, qui avait péri en couches. D'un certain point de vue, elle était et n'était pas orpheline, en même temps. Elle avait eu une enfance sans encombre, en dépit de la méfiance qui pesait sur sa mère défunte. Au contraire, chacun dans l'établissement décrivait une petite fille certes secrète et solitaire, un peu triste, mais toujours agréable, qui ne rechignait jamais. Irina avait grandi sans que le moindre reproche puisse lui être adressé. Elle était particulièrement sportive, un peu casse-cou, mais les sœurs du monastère l'avaient vite laissée grimper dans la montagne, ou patiner sur le lac en hiver.

Jusqu'au jour où Evgenia Klobber l'avait découverte, justement en train de patiner, et l'avait prise sous son aile. Tous ici s'en souvenaient, et prétendaient qu'il s'agissait de la chance d'une vie. Depuis, ils suivaient son parcours sportif à haut niveau avec fierté.

A ce stade, certaines affirmations des Sœurs attirèrent l'attention de Célia. L'une d'elle déclara que la fillette, alors âgée de 12 ans, s'était attachée à Evgenia Klobber parce qu'elle lui rappelait sa mère. Or, comme elle n'avait pas connu sa mère, et qu'il n'existait même apparemment aucune photographie de Morgath Adelfi, Célia demanda des explications. On lui répondit : "parce qu'elles boitaient toutes les deux".

Milan Lazsco : La Dette [E4 Quadrilogie du vampire] en  coursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant