Chapitre 2 - Poppy 🎭

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À la fin de mon service, je rentre enfin chez moi. Claquée, j'ai qu'une envie : manger quelque chose vite fait et rejoindre mon plumard. Chuck, mon supérieur hiérarchique, ne m'a pas épargnée ce soir. Toutes les tâches les plus ingrates ont été pour ma pomme.

J'adore mon job, et bosser avec Josh et Millie s'avère très plaisant, mais nous sommes en sous-effectif. J'ignore combien de temps nous allons pouvoir tenir dans ces conditions, et il semblerait que mon directeur ne soit pas très chaud pour embaucher, alors... nous devons tout simplement nous débrouiller.

Pendant mon trajet en voiture, je fais le vide dans mon esprit. En général, une fois que je quitte l'université ou le boulot, je ne laisse aucune pensée en lien avec ces lieux venir me parasiter. Et honnêtement, je préfère ne pas réfléchir à ce qui s'est produit aujourd'hui pendant mon cours de théâtre.

Les auditions pour la nouvelle pièce ont lieu la semaine prochaine. L'œuvre que M. O'Brien a choisie est Our Town de Thornton Wilder. Je connais déjà par cœur le texte du personnage d'Emily Webb, le rôle que je veux interpréter. Le souci ? Je ne suis pas la seule, et je suis presque certaine que mon prof ne me fera pas confiance. Pour lui, je ne suis bonne qu'à jouer les remplaçantes lors des répétitions ou à m'occuper des décors.

Je suis certaine que le rôle reviendra à cette garce d'Harper Sullivan. Est-ce que je la déteste ? Oui. Ai-je des raisons ? Des centaines ! C'est le genre de nana qui se pense tout permis et qui méprise ceux qui ne sont pas comme elle.

Elle a un don pour me pourrir ma journée, trouvant toujours les « bons » mots pour me foutre au fond du trou. Depuis que je l'ai rencontrée l'année dernière, elle a pris un malin plaisir à faire de moi son punching ball personnel. Pourquoi ? Je cherche encore.

Elle veut être la vedette de toutes les pièces de théâtre ? Grand bien lui fasse ! Mon rêve de devenir actrice professionnelle ne va pas disparaître à cause d'elle. Qu'importent ses brimades et ses coups bas, je peux le supporter.

Derrière ce visage angélique se cache un véritable démon. Elle est douée pour la tromperie, ses coups bas, elles les faits en toute discrétion. Après tout, les mots peuvent avoir le même impact que des dards. Et quelle trace laissent les paroles ? Aucune. Elle sait quand frapper et qui fracasser.

Harper ne cesse de dire que tant que je ne cesserai d'être une « grosse truie », je n'obtiendrai rien. Elle aime beaucoup me rappeler que je n'ai pas une taille de guêpe, et elle n'arrive pas à comprendre que je sois conforme avec mon corps. Selon elle, avoir un ventre flasque et des vergetures lui donnerait envie de se suicider. Une fois, elle m'a demandé si je n'étais pas dégoûtée en contemplant mon reflet dans une glace.

Heureusement, les remarques grossophobes ne me font aucun effet, je sais ce que je vaux. Cela fait longtemps que je me suis acceptée telle que je suis, même si, comme tout le monde, j'ai des complexes. Pourtant, ça n'a rien à voir avec ma silhouette, souvent qualifiée de ronde et voluptueuse, voire de pulpeuse.

Instinctivement, je pose une main au centre de ma poitrine parfaitement recouverte. Mon cœur bat à une allure régulière, contrairement à cet après-midi où j'ai bien cru qu'il allait exploser à cause de cette cruche d'Harper. Elle m'a mis dans un sale état avec ses sales remarques. Et ce crétin de Chuck n'a pas arrangé les choses. Je dois me ménager, alors pourquoi faut-il que les gens tentent de me pourrir la vie ?

Au bout de quelques minutes, j'arrive enfin chez moi. Je gare la voiture devant, celle d'Adam se trouve dans l'allée. La bâtisse est des plus classiques, faisant partie d'un quartier tranquille. Enfin, voilà une caractéristique qui décrit très bien Oak Ridge de manière générale. Il s'agit d'une ville paisible, loin des problèmes, des trafics de drogues, d'armes. L'endroit rêvé pour avoir une famille et élever ses enfants. C'est ainsi qu'on l'a vendu à mon beau-père lorsqu'on lui a offert le poste de coach de baseball à l'université, trois ans plus tôt. Et, honnêtement, je ne regrette pas du tout d'être venue vivre ici.

Une fois la porte d'entrée franchie, je me débarrasse de mon gilet que j'accroche au porte manteau. Malgré l'heure plutôt tardive, mon petit frère déboule dans les escaliers et me rentre dedans pour me faire un câlin. Amusée par le gosse, je m'accroupis pour le prendre dans mes bras. Je ne tarde pas à entendre ma mère l'appeler.

— Clarke, tu devrais être en train de dormir, tenté-je de le gronder.

Il m'offre un sourire dépourvu des dents de devant. Parfois j'ai du mal à concevoir qu'il a déjà cinq ans. Hier encore, il venait de naître et je changeais ses couches.

N'ayant que faire de ma remontrance, il me saute au cou et dépose un baiser bien baveux sur ma joue, ce qui m'arrache un gros fou-rire. Ce petit chenapan sait que je ne peux pas lui résister, qu'il me fait craquer.

Ma mère descend les marches, et malgré elle, nous regarde tous les deux avec des petits cœurs dans les yeux.

— Allez, au lit, déclaré-je en le posant par terre.

— Bonne nuit, Poppy.

— Bonne nuit, p'tit bout, lui souhaité-je.

Il passe près de ma mère et cette dernière lui met une petite tape sur les fesses.

La tête blonde de mon frère disparaît en haut des escaliers et maman s'approche de moi pour m'enlacer, comme à chaque fois que je rentre. Elle me serre contre elle, le temps de sentir mon cœur battre. C'est devenu une habitude avec le temps, une manière de s'assurer que tout va bien.

— Tu rentres un peu tard aujourd'hui, non ?

— J'ai été retenue au cinéma, soupiré-je, un brin blasée. Il y a quoi à manger ?

À vrai dire, je crève de faim.

— Du poulet teriyaki, du riz et du brocoli. Je t'ai gardé une assiette dans le micro-ondes, comme toujours.

Oui, elle n'a pas besoin de me le dire. Le jour où ma mère ne me préparera pas à manger, je saurai qu'il y a un gros problème.

— Je suis allée chercher tes médicaments à la pharmacie aujourd'hui, m'annonce-t-elle alors que je m'apprête à aller dans la cuisine.

Je m'arrête net, les sourcils froncés et me tourne vers elle. Aux dernières nouvelles, il m'en restait encore. Et j'en ai toujours de côté en cas où. On n'est jamais trop prudents.

— J'ai remarqué qu'il n'y en avait plus beaucoup. Tu ne rates aucune prise, pas vrai ?

Son air paniqué me fend le cœur. J'ai l'impression qu'elle ne cessera jamais de flipper. Le printemps dernier, j'ai commis une grosse bourde. Enfin, ce n'était pas ma faute. Disons que lors d'une fête universitaire, un petit malin m'a fait une mauvaise blague en mettant une saloperie dans ma boisson. Je dois faire très attention à l'alcool, j'en suis consciente, même si cela ne m'empêche pas de vouloir m'amuser comme les gens de mon âge. Aux yeux d'une certaine personne – qui me tape considérablement sur le système –, je ne suis rien d'autre qu'une irresponsable. Il croit tout savoir, mais il est bien loin du compte.

Suis-je en train de parler de Cassidy Knightley ? Affirmatif. Ce mec s'évertue à me pourrir la vie chaque fois qu'il est dans le coin.

— Oui, toutes les douze heures, sans exception. Merci d'être allée en chercher, mais tu sais que ce n'était pas nécessaire, pas vrai ? J'en ai toujours dans mon sac de cours et même dans ma table de chevet.

Les bras croisés sur sa poitrine, elle hoche la tête. Elle a cessé de sourire. À chaque fois qu'on aborde ce sujet, l'atmosphère change.

— Je préfère en avoir suffisamment à la maison, au cas où. Tu ne peux pas te passer de ces immunosuppresseurs.

Non, en effet, sans eux, je ne tiendrai pas longtemps. Mon organisme se retournerait contre moi et je finirais six pieds sous terre.

— Je te laisse. Bon appétit, me souhaite-t-elle avant de remonter à l'étage.

Un poil angoissée, je relâche l'air contenu dans mes poumons. Ma main se pose au centre de ma poitrine. Encore aujourd'hui, il m'arrive d'avoir mal.

Je m'empresse d'aller réchauffer mon repas et de manger le plus vite possible afin d'aller me coucher. La journée a été longue, je veux juste fermer les yeux et tomber dans les bras de Morphée. La dernière chose que je désire, c'est réfléchir. À l'université. À Harper. Au boulot. À ce cœur qui bat dans ma poitrine.

Et qui ne m'appartient pas. 

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Chapitre 3 disponible

Oak Ridge Campus #2 Knight © (SOUS CONTRAT D'ÉDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant