Chapitre 34

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6 Avril 2024.


Je connais ce sentiment par cœur ; celui de la dernière fois. Celui de la fierté qui s'installe en voyant le chemin parcouru durant l'année.

Celui d'être de retour sur scène et de mourir de peur.

Mais il me fait du bien. Je reconnais chaque sensation qui me parcourt chaque fois que j'arpente la scène pour en faire le tour ou que je passe par-dessus le bar pour me prendre à boire.

Tout ce que je vais ressentir, penser et chérir resteront à jamais dans cette salle. Dans le bois de la scène et son odeur vieillie, dans les rideaux. Dans les gradins vident de vie, bientôt remplis. J'aime cette sensation de paix quand je m'avance au bord de la scène et que je prie pour produire ma plus belle performance.

Pour la première fois depuis des mois, je ressens à nouveau tout ça et mon coeur se gonfle de bonheur.

Des pas se rapprochent mais je ne me tourne pas pour découvrir l'identité de l'arrivant. J'aimerais que ce soit Alistair à mes côtés mais ça n'arrivera pas. Il préfère largement le confort des sièges des gradins, ou la familiarité du bar.

— Tu es très silencieuse, déclare Max en s'essayant. C'est inhabituel.

Je hausse les épaules sans avoir le courage de lui avouer mes peurs. Je ne veux pas qu'il voit en moi de la faiblesse, ou de la tristesse. Pas ce soir, pas alors que je m'apprête à prendre ma revanche sur le dernier concert.

Le monde ne peut se contenter de la réussite. Il leur faut davantage. Il leur faut la perfection. Et ce soir, je vais donner le meilleur de moi-même. Ma solitude et ma colère. Ma joie et mon amour. Je leur donnerai mon coeur et mon âme, à mes risques et périls.

Je donnerai tout pour qu'il garde le souvenir de ma perfection sur cette scène.

— Je ne sais pas à quoi tu penses mais ça doit beaucoup te retourner, reprend-il d'une voix douce. Tu dois te reprendre, Maya. Ce n'est pas toi, tu n'as jamais baissé les bras.

— Tu n'as jamais pensé que je pouvais en avoir marre d'être moi ? je demande en me tournant vers lui. Tu n'as jamais pensé que parfois, je rêve d'être quelqu'un d'autre ?

Il fronce les sourcils, comme s'il ne comprenait pas. Il sait. Nous n'en avons jamais parlé mais je sais reconnaître le désir de changer de corps quand je le regarde. Même s'il tait ses sentiments, il n'en pense pas moins. Il ne veut pas être lui. Il ne veut plus être constamment parfait alors que c'est la seule chose qui a dicté sa vie.

Je sais qu'il rêve secrètement de redevenir le garçon amusant qu'il était. Celui qui n'avait pas encore ce poids trop lourd à porter sur ses épaules frêles.

— Bien sûr que j'y ai pensé, dit-il d'une sincérité à crever le cœur. Le jour où tu vas péter un plomb et que tu vas tout envoyer chier, je ne sais pas combien de temps je mettrai avant de suivre tes pas. L'idée même d'arrêter d'être parfait me fait flipper.

— On pourrait être tellement plus que ça, je murmure les larmes aux yeux. Si on le voulait, on pourrait démarrer un nouveau chapitre de notre histoire où la perfection n'est que futilité. Comme on l'a toujours rêvé. J'ai cette irrésistible envie de m'enfuir en courant.

— Tu as travaillé bien trop dur pour te défiler ce soir. C'est toi qui répétait que tu devais réussir, pour ton propre bien, pour faire la fierté de tes proches. Pour nous rendre fiers, nous aussi. Tu vis pour la réussite, Maya et tu ne peux pas changer qui tu es, tu dois juste l'accepter. Tu dois garder la tête haute et oublier que tu as peur. Personne ne s'inquiète autant que toi de ta réputation, ni ne vois tous les efforts que tu fais.

Memento VitaeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant