Chapitre 13

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23 Décembre 2023.


Le moment est enfin venu.

Notre chef entre sur scène et salue le public d'une façon si dramatique que ça me fait lever les yeux au ciel. Le public l'applaudit quand même.

J'ai la sensation que tout se passera bien pour nous. Même quand mon amie se lève en tremblant, je garde confiance. Elle a répété l'entrée du concert une centaine de fois, elle connaît l'enchaînement par cœur.

Respiration, signe de départ.

Le chef fait démarrer les percussions. Deux temps et elle se lance dans la partie compliquée du morceau. En choisissant la difficulté, la présidente nous aide à prouver au monde que nous sommes capables de le faire.

Le morceau ne dure qu'un temps mais pour elle, je sais que ça a duré une éternité.

Lorsqu'elle se rassoit, je peux voir ses muscles se relâcher avant qu'elle ne se tourne brièvement vers nous. Elle est heureuse.

Je jette un coup d'œil à Evelyne, et je sais qu'elle est prête à se lancer à son tour. C'est notre tout premier duo et j'appréhende le moment où le public aura le regard rivé sur nous. J'ai besoin de ressentir mes émotions au triple. Et les pieds de mon amie qui tapent frénétiquement le bois de la scène me font comprendre qu'elle pense la même chose.

Nous nous levons d'un même homme quand le chef nous fait signe de le faire. Evelyne et moi avons décidé que ce duo serait un échange entre nous, la révélation de notre lien.

Ma partenaire débute les premières notes, si faiblement que les gens doivent tendre l'oreille pour l'entendre. J'entre en scène trois mesures plus tard avec des notes plus vives et plus rapides. Moins agréables que celles jouées par mon amie.

Je me laisse emporter par ce morceau que je connais sur le bout des doigts et il ne m'a jamais été aussi simple de jouer avec quelqu'un.

Je me remémore chaque souvenir de chaque répétition. Le jour où Max nous a obligés à marcher dans toute la pièce pendant qu'on jouait. Le jour où nous avons dû performer dos à dos pour éviter d'exploser de rire quand la fatigue se faisait sentir.

Mon bonheur se trouve là, à enchaîner les mesures à bout de souffle en compagnie d'une amie. Devant des parents qui crèvent d'envie de me voir rater.

La fin du morceau arrive trop vite à mon goût et j'ai l'impression de ne pas avoir assez profité. De m'être trop questionnée sur ce qu'ils penseront tous. Je n'ai pensé qu'à eux et je m'en veux.

Peut-être que je rêverais moins s'ils n'étaient pas là. Sans mon père et son éducation, mes pensées auraient été différentes.

Mon cœur semble plus léger quand je m'assois. Plus que je ne pouvais l'imaginer.

Le concert se déroule comme il le faut, aucune bavure ne vient entraver la perfection qui s'étale aux yeux du public. Mes amis rayonnent d'un bonheur qui n'existe que sur cette scène et je comprends que c'est le début de notre histoire à tous les cinq.

Quand je me lève, une éternité plus tard pour terminer cet événement en beauté, je n'ai pas peur de m'avancer jusqu'au bord de la scène. Je veux qu'ils m'entendent et qu'ils constatent que je n'ai pas peur.

Je prends une grande inspiration et je me jette du haut de ma falaise. Je tombe au ralenti, et pourtant, tout se passe trop vite.

J'enchaîne les mesures comme si c'était facile, comme si je n'avais pas passé des soirées à m'entraîner. Comme si je n'avais pas mis Alistair dehors pour bosser tranquillement ou que je ne m'étais pas battu avec lui quand il voulait rester pour m'écouter.

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