J'ignore depuis combien de temps je reste assise là, sur ce matelas poisseux, à fixer une flaque sur ma droite. Quatre mille huit cents, c'est le nombre de gouttes qui ont frappé le sol depuis que mon père est parti. Je ne sais pas pourquoi je le désigne encore ainsi, alors qu'il n'en est rien. Tout en comptant cette eau, je n'ai cessé de me demander qui était mon père. J'ai beau me creuser les méninges, je suis incapable de dessiner un simple visage ou même détenir un prénom. Ma mère ne m'a jamais parlé de lui, elle m'a toujours fait croire que Cole était celui que je devais admirer, celui que je voyais comme mon héros pendant six années consécutives.
Durant plusieurs années, je regardais cette émission américaine sur des pères qui découvraient s'ils étaient ceux biologiques ou non. À chaque fois que le verdict tombait et qu'ils apprenaient qu'ils avaient été trompés, je ressentais une peine constante. Ces hommes prenaient soin de leur enfant – loin d'être le cas pour le mien – et on leur balançait une vérité déchirante. Je demande si le mien a éprouvé la même chose, s'il connaissait mon existence. Je n'imagine pas la tempête ravageuse qui a empli son cœur.
Et s'il était lui aussi un pédophile ?
J'ose espérer que non.
Les rayons du soleil commencent enfin à éclairer l'endroit dans lequel je me trouve. Je distingue ma peau marquée par la saleté et mes pieds par la terre. Le produit qu'ils m'ont fait inhaler n'a plus d'effet. Je sais donc que mes plantes vont me procurer une intense douleur lorsque je me lèverai. Je resserre un peu plus la couverture à la senteur douteuse, au tour de mon corps. Quitte à humer une mauvaise odeur, autant que j'y gagne de la chaleur. Ce n'est pas avec des sous-vêtements que je vais m'éviter une hypothermie ; surtout dans un immense dépôt sans chauffage en plein hiver.
— Alek, soufflé-je. Où es-tu ?
Les chaînes de mon voisin raclent le sol. Par réflexe, je tourne le regard vers lui et découvre enfin son visage marqué par la fatigue. La barbe qu'il porte depuis un moment, au vu de sa taille, est blanchie par le temps. Je ne distingue pas vraiment ses yeux, ou encore ses traits. Dès l'instant où il m'observe le scruter, il s'empresse de se cacher à travers ses bras habillés d'un tee-shirt clair et sale. Le pantalon qui l'accompagne est similaire à un jogging en laine que je revêtais souvent pour rester à la maison, lorsque mon pè... Cole quittait les lieux. Je me demande depuis combien de temps est-ce qu'il est enfermé ici. A-t-il une famille qui l'attend en dehors ? Qu'a-t-il fait pour se retrouver dans une telle situation ?
— Comment t'appelles-tu ? tenté-je de requérir.
Un mutisme, c'est tout ce qu'il m'offre.
— Je m'appelle, Irina. Et toi ?
Ma voix est calme, douce. Elle se veut rassurante.
— Il ne te répondra pas, m'informe Cyril. Il a peur de toi.
Il effectue plusieurs pas dans ma direction depuis le côté d'un conteneur qui me cache la vue de tout ce qui se trouve au loin. Habillé du costume sombre qu'il portait au gala, il me fixe de ce même regard peiné que dans la forêt.
Je me redresse avec difficulté pour lui faire face la tête haute ; ce traître ne mérite pas que je sois soumise après ce qu'il vient de me faire. Mes doigts s'agrippent aux barreaux gelés, je pousse sur mes jambes et me mets sur pied. Alors que je manque de tomber, Cyril se précipite pour me rattraper avec ses bras, mais par réflexe, je recule.
— Ne pose plus un doigt sur moi, craché-je.
— Irina...
Je lève la main dans sa direction, afin de lui ordonner de se taire ; je me fiche de ses excuses parce que rien ne justifie ce qu'il a commis.
VOUS LISEZ
Je veux vivre Tome III : La fin d'un cauchemar - Dark Romance
RomantizmLa fin approche. Cole, le père d'Irina, est prêt à tout pour récupérer la prunelle de ses yeux. Quitte à éliminer Aleksander Kowinski et quiconque s'opposera sur son chemin. Mais Alek n'a pas l'intention de laisser qui que ce soit toucher à celle qu...