Flash-back

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Six ans plus tôt

Je me réveillai en sursaut en entendant un bruit sourd. Je me redressai vivement sur mon lit, attendis quelques secondes que mes yeux s’habituent à la pénombre puis, je sortis de ma chambre discrètement. J’avançai à pas feutré dans l’étroit couloir qui menait au salon de notre appartement. Je m’arrêtai devant la porte et tendis l’oreille à l’affût du moindre bruit.

Soudain, j’entendis un cri étouffé. Un cri bien trop familier… Mon cœur cognait fort dans ma poitrine et j’avais l’impression que mes jambes allaient se dérober.
Je posai tout de même ma main tremblante sur la poignée de la porte et je l’ouvris le plus délicatement possible, mais comme d’habitude, elle grinça…
J’entrai dans la pièce et mon regard se posa sur les mains de mon beau-père autour de la gorge de ma mère. Encore une fois…
J’avais l’impression de revivre sans cesse la même journée ; aller à l’école, faire mes devoirs, manger, aller me coucher, me réveiller en sursaut en pleine nuit, assister à leurs disputes…
Sans réfléchir, je me précipitai vers eux, m’agrippai à mon beau-père et tirai de toutes mes forces pour qu’il lâche prise. Mais, je n’avais que douze ans et j’étais bien trop faible pour parvenir à l’éloigner d’elle.
Il me repoussa violemment et je me retrouvai au sol. Mais, je me relevai prestement pour tenter à nouveau de les séparer. Enfin, il la lâcha mais ce fut pour m’attraper et me plaquer contre le mur.

— Que fais-tu debout à une heure pareille ? Tu viens pour me pousser à nouveau à bout ? Regarde ce que tu me forces à faire en me rejetant sans cesse ! hurla-t-il. Je voulais juste que nous formions une famille unie. J’aurais pu être comme un père pour toi. Mais tu ne penses qu’à toi et tu es incapable d’aimer. Pourquoi n’es-tu pas comme tes frères ?

— Tu as tort ! J’aime ma mère, plus que tout au monde, mais je ne supporte pas que tu lui fasses du mal. Tu es un monstre, je te déteste !

— La seule personne qui lui en fait c’est toi. Si tu m’aimais, si tu ne passais pas ton temps à t’opposer à moi, nous pourrions tous être heureux et je n’aurais pas besoin d’en arriver là.

— Je voulais t’aimer ! me récriai-je. Je voulais que tu sois comme mon père jusqu’à ce que je te vois
la frapper. Tu ne pourrais pas lui faire tant de mal si tu l’aimais vraiment.

— Tu es trop jeune pour comprendre… Tu as à peine connu ton père et tu ignores ce qu’est un homme.

— Il a raison Aliya, me dit ma mère en me regardant sévèrement. Les disputes font partie de la vie de couple et permettent de durer dans le temps. Cesse de t’en mêler. Ne vois-tu pas que je suis heureuse avec cet homme et que tu me brises le cœur en étant aussi dure avec lui ? Tes frères sont bien capables de le comprendre alors, pourquoi pas toi ?

Pourquoi ne comprenait-elle pas que j’avais essayé de toutes mes forces, pour elle d’aimer cet homme, mais, en vain. Depuis le jour où je l’avais vu lever la main sur elle, je l’avais détesté, je n’y pouvais rien, c’était une haine viscérale contre laquelle je ne pouvais lutter.

— Ignore-la, lui ordonna mon beau-père. Elle ne mérite pas notre attention. Combien de fois lui a-t-on expliqué ? Elle est incapable de comprendre. Maintenant, va te coucher ! M’enjoignit-il.

Abattue, comme chaque fois, je regagnai ma chambre en silence. Je n’avais pas versé la moindre larme. Je ne pleurais plus depuis longtemps…

Quelques minutes plus tard, j’entendis à nouveau des hurlements, et des bruits d’objets que l’on brise.
Mon beau-père vociférait des phrases telles que « je vais te briser le crâne » ou encore
« je vais te fracasser contre le mur ».

C’était donc ça l’amour ?

Les phrases prononcées par ma mère tournaient en boucle dans ma tête. J’étais si triste de savoir qu’elle me pensait suffisamment égoïste pour briser ses rêves de famille unie, alors que je ne voulais que son bonheur.
Mais, je ne pouvais me résoudre à penser que cet homme violent pouvait le lui apporter.

Pourtant, j’y avais cru, au début, lorsque ma mère nous avait présenté cet homme. Notre père nous avait abandonnés deux ans avant de trouver la mort. Mes frères et moi, qui ne l’avions presque pas connu, rêvions de trouver un substitut paternel, un homme qui nous aimerait comme ses propres enfants, contrairement à notre père qui en avait été incapable.
Mais, quelques mois après son emménagement chez nous, il avait pour la première fois levé la main sur ma mère et, lorsqu’aux coups, s’était ajouté la violence verbale et les humiliations, je n’avais pu contenir ma colère plus longtemps. Nous en étions venus aux mains à plusieurs reprises avec mon beau-père, mais à mon plus grand désarroi, personne ne m’avait soutenue et je m’étais retrouvée seule face à lui. Mes frères m’avaient enjoint de ne pas m’en mêler et de ne pas les priver de cette relation pseudopère-enfant dont ils avaient toujours rêvé, et ma mère, de ne pas la priver du bonheur qu’elle méritait de connaître. Je fus perdue. Amour rimait-il avec violence ? Jamais ma mère n’avait levé la main sur nous. Pourquoi acceptait-elle ça de son mari ? N’était-il pas censé l’aimer, la protéger et veiller sur elle ? Et s’il était capable de la frapper, jusqu’où était-il capable d’aller ? Allais-je rentrer un soir et apprendre qu’un coup mal placé avait fait perdre la vie à ma mère ? Mais que devais-je faire alors ? J’étais terrorisée, mais pourquoi étais-je la seule à ressentir ce sentiment à son égard ?

Deux camps s’étaient formés. Ceux qui le soutenaient et ceux qui voulaient s’opposer à la violence et aux humiliations. Mon beau-père avait perçu l’hésitation chez mes frères puis chez ma mère. Il avait donc décidé de m’isoler dans mon propre foyer. Il avait prodigué un amour feint à mes frères, celui dont ils rêvaient tant, et, en échange, ils n’avaient plus eu le droit de m’adresser la parole. Ma mère avait également fini par s’éloigner de moi. J’étais devenue un fantôme errant dans sa propre maison, ignoré de tous… Je n’existais tout simplement plus à leurs yeux. Pour augmenter son pouvoir, mon beau-père avait fait plusieurs conseils de famille pour énumérer mes fautes et ainsi prouver à tous que j’étais l’élément à chasser de cette maison. Chaque fois, j’avais pleuré toutes les larmes de mon corps et les avais suppliés de me parler à nouveau et de retrouver la relation fusionnelle qui nous unissait quelques années auparavant, en vain. Je compris qu’ils avaient tous besoin de l’affection d’un homme quitte à accepter tous les comportements de ce dernier et donc que je ne faisais pas le poids face à lui.
Pourquoi ne fonctionnais-je pas comme eux ?

Parfois, je me demandais s’ils avaient raison et que son comportement était causé par la haine que je lui vouais. Était-ce moi qui le faisais basculer dans cet état incontrôlable ?
Et si j’étais l’unique responsable ? La source de ses crises…

Aliya (sauve-moi) - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant