Chroniques d'Hyrule : 1. Haine, Rancœur et Vengeance

Le Monstre

Je pars en courant vers l'écurie, et ne cherche même pas a mettre une selle à Murmure, mon cheval.
Je saute par dessus la barrière, l'enfourche et il s'élance aussitôt.
Je m'agrippe à sa crinière, les doigts emmêlés à ses longs poils soyeux.
Partant à la gauche du terrain, il franchit à toute allure le pont levis sous l'œil médusé du garde et s'élance dans la plaine.

Pataclop pataclop pataclop

Il foule la route pavée, à l'inverse du sens de circulation habituel.
Des marchands s'écartent vivement sur mon passage, craignant de se faire écraser, outrés.
Je donne un petit coup sur son flanc gauche, et il quitte la route pour s'enfoncer dans la plaine.

Pataclop pataclop pataclop

Le bruit de ses sabots libres se fait plus étouffé dans l'herbe rase.
Il traverse le pont de la Triforce, ancien abri de survie de la famille royale, et se dirige vers la forêt près du relais des Marécages.

Des Bokoblins sursautent sur mon passage et s'enfuient en courant, ou en galopant s'ils sont sur des chevaux.
Un Hinox se réveille, mais sentant certainement mon aura se pétrifie de peur.

Je chevauche toute la journée, traversant la plaine d'Hyrule, dépassant les chevreuils à la course...
Murmure s'arrête finalement, dans la forêt des marécages, loin de toute civilisation.
Il s'écarte.
Il me connaît, sais ce qu'il va arriver.
Je me contient depuis trop longtemps. Je n'ai jamais tenu aussi longtemps.

Sept ans...

Sept ans que je tiens bon...

Mais pour une fois... J'en ai assez.
Pour une fois, je veux rester moi.
Pour toujours.

Je dégaine mon épée, et donne un coup violent dans un tronc sans le regarder. Il éclate sous l'impact.

Briser. Détruire. Tuer. Je n'en peux plus... Je n'en peux plus... Je n'en peux plus !
L'air semble prendre une consistance près de moi, ma vision s'obscurcit de rouge teinté de miasmes mauves et noirs...
Les signes avant coureurs de ma transformation.
Ou plutôt, de mon retour à la normale.

Autour de moi, l'herbe se flétrit. Les arbres les plus proches se fissurent, pourrissent, tombent en poussière.

"Le monstre"

Pourquoi ? Pourquoi est ce que je dois toujours endurer la même chose ?
Pourquoi est ce que je m'oblige à rester parmi eux ? Pourquoi est ce que je m'oblige à garder cette apparence que je déteste tant, celle de l'Hylienne fantôme, simplement la sœur du " plus grand chevalier d'Hyrule " ?

Je hais les Hyliens. Je les hais tous.
Qu'ils aillent crever dans le lac Hylia de noyade, comme ils ont essayé de le faire avec moi.

Des flaques de rancœur remplacent l'herbe, le vent se met à souffler violemment.

Au fond de moi, une bête tapie, bien trop souvent endormie, se réveille. Se réveille pour de bon.
Elle remue, s'agite, semble vouloir se libérer de chaînes invisibles.
Chaînes que je lui ai moi même posée.

Je hais les Hyliens.
Je refuse d'être Hylienne.
Je renie mon ascendance Hylienne.
Je renie les Hyliens comme étant de ma race. Je ne suis pas comme eux.

Le vent s'arrête aussi brusquement qu'il a commencé.
Je regarde ma main.

Violet clair, et mes yeux rouges se reflètent sur la lame de mon épée.
Ma tunique est redevenue noir nuit, et mes cheveux sont de l'obscurité à l'état pur.
Mais laquelle de nous deux est la vraie ? Celle que je suis à présent. Je me suis si souvent posée la question... Mais je suis à présent sûre de cette réponse.
Je ferme le poing violemment, comme pour écraser ma colère.
Mais elle est bien trop puissante pour que ce geste marche.

Je refuse. Je refuse de devoir une nouvelle fois renoncer à cette liberté retrouvée que d'être moi même.
Moi même.

Line.

Pas une Hylienne.

Un avatar de rancœur.

Moi.

"Dark" Line.

Je renonce.
Je renonce à être Hylienne. J'abandonne mon appartenance à cette race pourrie jusqu'à la moelle.
Je décide d'être moi.
Moi.
Line.
Le monstre.



Les chaînes se brisent.