Un enterrement par jour. C'est ce que Kohga a décrété.
Pour honorer les traditions Yigas, il doit veiller le corps des défunts jusqu'au petit matin ; et Kohga se raccroche de toutes ses forces à ces traditions pour ne pas perdre pied.
Il est dévasté par la mort de ses "p'tits jeunes". Pourtant, aucune larme ne coule. Il garde tout au fond de lui, reste silencieux et compatissant, offre une épaule où pleurer à ceux qui en ont besoin.
Alors que je ne connais pas les Yigas depuis ma naissance, et que je n'ai intégré le clan qu'il y a seulement deux ans, presque trois, j'ai toutes les peines du monde à ne pas pleurer.
Comment fait il ? Ce doit être dur d'être chef.
Je prends la main de Suppa alors que nous gravissons en silence la pente du Mont Satori, torche à la main.
L'hommage de ce soir sera particulièrement difficile, je le sais.
Je cherche les gamins des yeux, mais je ne les vois pas. Ils doivent être à l'avant.
Je déglutis péniblement. Le moindre mouvement autre que marcher que j'effectue me donne envie de pleurer. C'est terrible.
Cette fois ci, nous rendrons hommage à deux morts. Kohga a accepté car ils auront la même sépulture, au bord de la corniche du jardin des Pommiers, avec un vaste panorama de la plaine.
Puis la cérémonie commence.
Pas de discours pompeux, pas de mots tout court. Il n'y a pas besoin.
Les uns après les autres, les Yigas vont poser leurs torches autour des blocs de pierre où Pir et Tauro dorment.
Par une Arcane certainement, la décomposition n'a pas commencé, et leurs blessures ont été pansées. On aurait presque pu les croire vivants, si la couleur de leur peau, heureusement indiscernable dans le noir, n'avait pas été aussi pâle.
Je suis censée passer parmi les derniers pour l'hommage.
Puis je vois Taya et Tael. Debout, si petits et frêles à côté de leur douleur que la lueur de la torche ne suffit pas à éclairer toutes les zones d'ombre.
Suppa me lâche la main un instant, et va poser sa torche avec les autres. Puis il pose un genoux à terre et porte la main à son cœur en inclinant la tête.
Ah oui. C'est vrai. Pir était une officière.
Il se relève, et me rejoint.
Taya et Tael vont poser leurs torches ensemble. Je vois Taya trembler et serrer le poing pour ne pas pleurer, faisant tout son possible pour soutenir Tael.On n'entend que le vent dans les arbres, le crépitement du feu et les sanglots de Tael.
J'accroche le regard de ce dernier, tend ma torche à Suppa et ouvre les bras.
En pleurs, Tael se précipite vers moi et me saute au cou. Taya le suit de près, mais se place simplement à côté de moi quand je me relève. Elle pose sa tête contre mon bras, et ne bouge plus.
J'arrive à porter Tael avec une seule main. Alors quand mon tour arrive, comme Tael refuse de me lâcher, je reprends ma torche à Suppa, et vais rendre hommage aux parents des gamins avec Tael même si son tour est déjà passé.
J'ai une grosse boule dans le ventre en voyant les enfants ainsi. Je n'arrive pas à mettre la main sur ce sentiment, mais j'ai mal pour eux, j'aimerais trouver les mots justes pour les consoler même si je sais qu'il n'y a rien à dire. Si je le pouvais, je les débarrasserais de leur peine en la prenant pour moi, même si cela devait me rendre malade.
Je sens soudain deux petits bras s'enrouler autour de ma taille. Taya presse son visage contre ma tunique et se met à pleurer aussi.
Je lui caresse doucement les cheveux.
Le reste de l'hommage passe. Un à un, les Yigas se téléportent. Suppa me glisse à l'oreille avant de partir un << Je t'attends au repaire >>, et s'en va aussi.
Je reste jusqu'au bout, car je ne laisserai pas Taya et Tael seuls.
Quand il n'y a plus personne, Kogha s'approche des nous, et voyant que Tael n'est pas en état, s'en remet à Taya, qui a réussi à retrouver un visage à peu près serein, même si rougi de larmes.
Il pose un genoux à terre s'incline devant Taya, et lui tend un sabre tranche-vent ainsi qu'une serpe coupe-gorge, en équilibre entre ses deux mains.
En temps normal, si Tauro était mort, Pir aurait dû recevoir ses armes. Si ça avait été l'inverse, c'est Tauro qui aurait récupéré les armes. Mais comme il ne reste plus que Taya et Tael, ce sont eux qui décideront que faire des deux lames.
Taya les prend en tremblant et Kohga se relève, les poings serrés.
Je repose Tael, et ils vont vers les pierres main dans la main, lentement, posent les armes dessus, s'agenouillent contre les pierres, et attendent.
Des lucioles tourbillonnent autour d'eux. La lune ne perce pas encore au travers des nuages, mais ça ne saurait tarder.
Kohga me fait signe que je peux y aller. Les enfants et lui veilleront les deux défunts jusqu'au lever du jour.
Je dois me résoudre à me téléporter au repaire, le ventre noué à l'idée de laisser les enfants seuls à leur tristesse.
Suppa m'attend dans le dortoir, le seul à être encore réveillé.
Je me téléporte à ma couchette, juste à côté de la sienne.
Je me glisse sous ma couverture, prend la main de Suppa qui me sourit tristement, et ferme les yeux.
Mais je n'arrive pas à m'endormir. Je pense à Taya et Tael.
Je ne sais pas combien de temps je suis restée éveillée ainsi.
Certainement au milieu de la nuit, Suppa m'a prise dans ses bras et m'a murmuré à l'oreille :
- Tu ne peux rien faire pour eux maintenant. Ne pas dormir ne les aidera pas. Dors. Tu en as besoin.
- Tu me dis ça mais tu ne dors pas non plus.
Il ne répond pas, et me serre juste un peu plus fort contre lui. On finit par s'endormir l'un contre l'autre au bout d'un certain temps.
Et pendant que je commence à m'endormir, je crois que j'arrive enfin à mettre un nom sur le sentiment qui me serrait le ventre depuis.
L'instinct maternel.
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Chroniques d'Hyrule : 1. Haine, Rancœur et Vengeance
FanficVoici l'autre histoire des Prodiges... d'un petit Gardien qui remonta le temps... de la jumelle du Héro que tous voyaient comme un monstre... de celui qui donna sa vie pour elle par amour... et de leur clan de renégats traîtres à la famille royale q...