Pour la première fois depuis très longtemps, je souris.
Sentir le vent dans mes cheveux et caresser mon visage, l'air frais me piquer délicieusement la peau et les narines, le soleil promener amoureusement ses rayons d'ocre sur ma joue...
Heureuse, j'écarte les bras pour sentir la prise du vent, sans retenu, fermant les yeux.
Un chant me vient aussitôt en tête, incompréhensiblement. Il ne se limite pas à mes pensées, obligeant mes lèvres à s'ouvrir.
Comment est ce que je connais ce chant ? Je n'en ai pas la moindre idée. Je sais seulement que c'est de l'ancien Hylien, car je ne comprends pas moi même les paroles.
- Fan ima tu rima nis
San ta limen ver pa
Scrif tu mohis forra
Vato cris
Forten no ko rea...
J'ai l'impression que ma voix s'envole loin, très loin, traversant Hyrule, transcendant les espaces et le temps, atteignant de lointaines contrées oubliées, un autre monde.
Je ne sais pas pourquoi je chante. Je n'ai quasiment jamais ouvert la bouche. Et pourtant, là, au sommet des Monts Géminé, ma gorge se délie enfin, et je chante, alors que je n'ai jamais émis la moindre note.
Peut être est ce faux, peut être est ce moyennement juste, ou peut être est ce la perfection absolue, même si je penche plutôt pour la première option. Mais je m'en moque. Je veux chanter.
Alors je chante.
Silencieusement, mon Maître m'observe. Il ne me juge pas. Il m'écoute simplement. Et il est heureux de me voir ainsi, même si comme à son habitude il ne laisse rien paraître.
Quand mon chant se tarit, un silence étrange m'envahit. Le vent se mue à mes oreilles en hurlement de loup, sans que je parvienne à savoir s'il s'agit de mon imagination ou pas.
Nous restons plusieurs minutes ainsi, le Maître et moi, lui assis sur son rocher, son épée à ses côtés, moi au bord de la falaise à contempler l'horizon.
Le soleil se lève, paresseusement. Il se fait désirer, il me taquine un peu à faire changer ma peau de couleur, passant par tous les dégradés de couleur chaude avant de se révéler complètement.
- Tu chantes bien.
Ce sont les premiers mots qu'il m'adresse depuis que nous avons commencé à escalader la paroi abrupte des Monts Géminés. Nous avons fait une petite halte près du Sanctuaire le plus haut, mais pas un mot n'a été échangé. Nous avons finalement atteint le sommet plus d'une heure plus tard.
Je rougis devant son compliment.
Un voile de tristesse dont je ne saisis pas le sens passe dans ses yeux.
Il m'a tiré du lit au beau milieu de la nuit, m'a mise sur Murmure, son cheval, et nous sommes partis au galop à travers la plaine. Pas une explication, pas une protestation. Je me suis juste endormie contre lui, emmitouflée dans sa cape de voyage, alors que la lune était encore haute.
Arrivés près de la rivière, il a laissé Murmure se désaltérer et m'a aidée à descendre. Puis il ma poussée à l'eau sans autre forme de procès.
Je crois que j'ai passé à ce moment l'heure la plus exténuante de ma vie, plus encore que quand j'ai appris à monter seule à cheval sur une monture qui ne voulait pas de moi.
En une heure, j'ai appris à nager. Et j'en ai bavé. Au bout d'un moment je n'ai même plus eu la force de compter le nombre de tasses que j'avais bu.
Dès que le ciel a commencé à s'éclaircir, il a attaché la bride de Murmure à un arbre - qui s'est avéré être un Tronc-Peur, il a fallu le changer d'endroit, et m'a rejoint à l'eau en me demandant de traverser la rivière. À la nage donc, alors qu'il y avait un courant digne des chutes Zoras.
Nous avons fini le trajet jusqu'aux Monts Géminé à pied, pour au final les escalader.
J'ai bien cru mourir arrivée en haut, mais la vue m'a rapidement revigorée.
Je suis d'autant plus heureuse d'être ici car je sais qu'il ne saura jamais que je suis ici s'il se met à me chercher, s'il se rend compte que c'est un clone qui se trouve à la "maison".
- Maître ?
Il ne répond pas, mais je sais qu'il attend ma question.
- Vous êtes un Sheikah, n'est ce pas ?
Prise du besoin de me justifier je continue :
- Vous n'auriez pas pu me créer un clone aussi aisément sinon... surtout aussi ressemblant.
- En effet. Mais est ce que ma race importe en quoi que ce soit sur ce que je suis ?
- Bien sûr que non. Vous pourriez être une étoile de mer que je vous verrais de la même façon. Au sens figuré, je veux dire, vous ne ressemblez pas du tout à une étoile de mer.
Il éclate de rire devant l'incongruité de ma remarque.
Essuyant une petite larme au coin de son œil, il ajoute :
- Tu as déjà vu une étoile de mer avec des yeux rouges et des cheveux blancs ? Si c'est le cas, il faut que tu me dises où, tu as peut être découvert une nouvelle espèce...
- Je viens de vous dire que vous ne ressembliez pas à une étoile de mer, crié je embarrassée.
Il sourit, et le vent redevient peu à peu le maître du son. Je n'entends plus que les bourrasques.
Je contemple le vide. C'est fou... La paroi est si abrupte que je peux aisément voir le relais tout en bas, simple tâche colorée près d'un trait couleur terre et une immense plaine herbeuse s'étendant jusqu'à la Muraille d'Elimith.
...
Le vent semble me pousser dans le dos.
Si je tombais, là, maintenant, de toute façon, ce ne serait pas bien grave. J'aurais mal, et puis c'est tout.
Mais je me dis... avec un peu de chance... tomber d'aussi haut pourrait peut être enfin mettre un terme à mon calvaire.
Alors que cette pensée me traverse un court instant, inconsciemment, j'abandonne toute résistance au vent. Je vacille, à pas même un pas du vide.
Je me vois déjà en train de tomber, alors que je ne le souhaitais pas vraiment, et ma vision tangue, toujours plus. J'ai l'impression que le vide m'attire, qu'il m'appelle à lui, que quoi que je fasse je vais tomber alors que mes deux pieds sont encore bien ancrés au sol.
J'ai envie de m'échapper de cette emprise fascinante et terrifiante que le vide m'impose, mais je n'y arrive pas.
Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Je n'ai jamais eu peur d'être en hauteur, et pourtant je pense ressentir ce que certains appellent "le vertige". Mais c'est bien pire que tout ce que j'aurais pu imaginer.
Une nouvelle rafale souffle.
Je blêmis quand je me rends compte que je suis en train de tomber. Mes repères ont été tant chamboulés que je ne me suis pas rendue compte que je commençais à basculer en avant.
Une main m'attrape par la taille et l'autre sur mes yeux. Elles me rapatrient vivement en sécurité, loin du bord.
- Pas de ça avec moi. Me dit mon Maître d'un ton calme.
Mais j'entends le petit trémolo dans sa voix, presque indiscernable.
Je hoche simplement la tête et il consent à me relâcher.
De nouveau vigilant au moindre de mes mouvements, ne cherchant plus à le cacher à présent, il se rasseoit sur son rocher.
Certains de ses cheveux lui tombent devant les yeux, dont son unique mèche rouge.
Je n'ai jamais compris pourquoi il l'avait. J'ai simplement remarqué que Pru'ha avait la même.
- Maître ?
- Oui ?
- Pourquoi avez vous une mèche rouge ? Demandé je de but en blanc.
Il me regarde d'un air surpris, et porte instinctivement la main à cette dernière.
- Je ne te l'ai pas déjà expliqué ?
- Heu... Non.
J'ai l'impression de passer pour une idiote quand il me pose sa question sur ce ton...
J'aurais dû comprendre quelque chose ? Mais bon, après tout, il ne faut pas oublier que je n'ai que sept automnes, même si j'ai l'air d'en avoir le double.
Il soupire et me fait signe de m'installer à côté de lui sur la pierre.
- À ton avis, me demande t il une fois que je me suis installée, quel âge ai-je ?
Je réfléchis un peu. Son visage lui donne l'air d'avoir cinquante ans, mais je ne pense pas... puis c'est un Sheikah, et j'ai entendu dire que les Sheikahs vivaient très longtemps...
- Cent ans à peu près ?
Il me sourit tristement.
- Dix fois plus.
Je fronce les sourcils. J'ai dû mal entendre. Il a dit deux fois plus, c'est bien ça ? Il y a beaucoup de vent, mes oreilles ont pu me jouer des tours.
- Vous ne faites vraiment pas votre âge, Maître. Mais vous n'avez pas répondu à ma question.
- J'y viens, j'y viens, petite impatiente. Figure toi que quand j'étais jeune, vers ma vingtaine, j'étais amoureux d'une femme qui ne m'a jamais vu comme moi je la voyais.
Son ton devient amer.
- C'était il y a bien longtemps... Elle est morte depuis. Je n'ai jamais cessé de l'aimer, et je me suis juré de me venger de ceux qui l'avaient tuée, trahie. Avec mon meilleur ami, nous avons réussi à fuir, même si j'ai laissé une part de mon âme dans mon village, avec la cheffe qui s'est sacrifiée pour nous permettre de sauver notre peau. J'étais amoureux de ma cheffe. Elle se nommait Dame Sheik, en hommage au Conte du Temps, comme le veut la tradition Sheikah.
Il laisse passer un silence, le temps de refaire sa natte.
- Dame Sheik était pareille à une rose. Dangereuse et fière sous couvert de beauté. Je me targuais d'avoir un œil semblable au sien, un œil symbole de notre clan, me dit il en pointant son œil droit. Je me suis teint une mèche en rouge pour me souvenir à jamais d'elle, et pour me souvenir que j'avais une vengeance à accomplir.
- De quelle trahison parlez vous, Maître ?
- Une très vieille trahison... celle qui mènera Hyrule à sa perte.
Je n'ai toujours pas compris, mais je n'ose pas insister.
- Qu'est devenu votre ami ?
- Ah... Lui a pu fuir avec sa bien aimée. Il est chef du clan dont je t'ai parlé, à présent. Je l'ai quitté il y a cent ans pour pouvoir débusquer de jeunes talents en Hyrule susceptibles de nous rejoindre... Mais comme tu le vois, mon objectif a quelque peu dévié de la cible initiale.
Je lui souris et rougis.
- Et il m'a certainement oublié, depuis le temps... murmure t il, comme à lui même.
- Ce n'est pas possible ! Je suis sûre qu'il pense encore très souvent à vous ! Dis je avec véhémence.
Il souffle,toute mélancolie envolée, amusé.
Mon Maître pose sa main sur ma tête et sourit.
- Parfois j'oublie ton jeune âge... Tu ne peux pas te représenter les souvenirs qui s'effacent, surtout avec un esprit aussi brillant que le tien...
J'ai envie de le démentir, que je suis parfaitement capable de me représenter ce dont il parle, et aussi lui dire que je ne suis pas brillante du tout. Ça me gêne qu'il me dise ça.
Mais en même temps, ça me réchauffe le cœur.
Le silence revient. Le soleil est enfin levé, même s'il ne se découpe encore que peu à l'horizon, simple disque jaune pâle se confondant avec le bleu limpide du ciel.
- Mais bon, je ne t'ai pas levée aux aurores pour parler de moi. Nous avons la journée devant nous avant qu'ils arrivent.
- Qui ça ils ?
- Ceux qui au coucher du soleil virevoltent dans le ciel.
- ?
- Tu verras. Conclut il simplement.
Un mouvement. Très rapide. Je l'ai détecté tout juste à temps.
Je me baisse en perdant l'équilibre, n'ayant qu'à peine eu le temps de l'esquiver.
- Et comme nous avons la journée devant nous, c'est le moment idéal pour t'entraîner. Première leçon que je pensais que tu avais intégrée, ne jamais baisser sa garde ! Me dit il d'un air féroce, un grand sourire néanmoins sur le visage, épée pointée sous mon nez.
Je ne l'ai même pas vu dégainer.
Il veut vraiment me tuer...
Après le cheval, la nage et l'escalade, maintenant, le combat !
Mais soit.
Je vais le montrer de quel bois je me chauffe.
J'attire mon épée à moi grâce à la Rancœur.
Et me mets en garde.
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Chroniques d'Hyrule : 1. Haine, Rancœur et Vengeance
FanficVoici l'autre histoire des Prodiges... d'un petit Gardien qui remonta le temps... de la jumelle du Héro que tous voyaient comme un monstre... de celui qui donna sa vie pour elle par amour... et de leur clan de renégats traîtres à la famille royale q...