Emprise (1)

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Je regarde dans la salle. Personne.
Bien. Astor doit être ailleurs.
Je saute de la poutre où je me suis téléportée au cas où je n'aurais pas été seule et me réceptionne face à l'autel.
À nous deux, pensé je en regardant la forme ovale noire posée entre deux cierges.
J'avoue ne pas très bien comprendre l'utilité du réceptacle dans la résurrection de Ganon, et l'adoration que lui vouent prétendument les Yigas.

Inanimé, il gît sur un autel rectangulaire, d'un bois sombre, sur un tissus rouge orné de broderies or. Deux bols de bananes sont posés à côté, et des bougies ainsi que des chandeliers et des cierges sont disséminés symétriquement de part et d'autre du réceptacle et de l'autel, sur toute l'esplanade.
Derrière, deux tentures Yigas sont accrochées, mais seuls les yeux vermeil peints dessus les font ressortir du mur.

- Je sais que tu n'es pas réellement désactivé. Réveille toi. Intimé je froidement.

Des minces interstices entre les différents composants de son corps en forme d'œuf s'échappe une vague lueur violette. Ses pattes arachnéennes sans vie sont enroulées autour de son corps. Je sais d'expérience que la mobilité de ses pattes est incroyablement fluide et souple grâce aux nombreux assemblages les formant. Zelda y avait veillé.

Je lui donne un coup du plat de la main près de son œil archéonique. Sous le mouvement que je lui impose, il vacille mais reste en place, même si le tissu sur lequel il est posé se froisse. Je m'en occuperai plus tard, je ne veux pas qu'Astor sache que je suis passée par là.

- Réveille toi.

L'œil clignote et l'alphabet Sheikah bugué défile verticalement à toute vitesse dans le liquide qui l'alimente. Il finit par s'allumer complètement, puis j'entends les circuits qui redémarrent et le bruit des rouages qui se remettent à tourner.
Maintenant on va pouvoir parler.

- Qu'est ce que tu as fait à Ash ?

Silence radio. Il me regarde simplement. J'aurai juré que la partie supérieure de son corps s'était un peu soulevée, comme si une bouche inexistante s'ouvrait et qu'elle riait.
Avec un sourire inquiétant, j'effleure sa "peau" artificiel, pour enfoncer brusquement mes ongles dans un interstice. Il est difficile d'avoir des prises sur une surface lisse.

- Réponds moi. Martelé je.

Soudain, des mots jaunes en ancien Sheikah se mettent à couler dans son œil couleur corail. J'ai à peine le temps de les traduire. Heureusement que mon Maître m'a appris à les lire...

- Je sais parfaitement que tu lui as fait comme moi. Je modifie ma question : pourquoi as tu fait ça à Ash ? Pourquoi souhaites tu à ce point te débarrasser de moi ? Ajouté je un ton plus bas, plus menaçante encore.

Des miasmes se mettent à émaner autour de lui. De la Rancœur coule de son œil, en accord avec les mots en Sheikah défilant verticalement dedans.
Un cri terrible, aigu, inhumain, résonnant comme un rire s'échappe de ses dispositifs sonores. Les miasmes affluent vers moi, me rentrent dans le nez, par mes oreilles, mes yeux... ils me brûlent de l'intérieur.
J'essaie de retirer mes mains du réceptacle pour m'en couvrir les yeux, mais n'y parvient pas : elles sont soudées à cause de la Rancœur à lui.
Ça fait mal...

Brusquement, les parties inférieure et supérieure de son corps se séparent, et trois bras mécaniques percent la matière mouvante noire et violette formant son noyaux, terminés par des pinces bleues archéonique tranchant avec l'orange de son œil.


Je perds complètement le contrôle de la situation.
Les pinces se glissent autour de mon cou, et je sens leurs contours irréguliers m'érafler la peau alors que ses pattes grandissent à n'en plus finir, qu'il devient si grand qu'il est obligé de se voûter pour continuer à me fixer. Inhumain. Sa tête reste parfaitement fixe, comme figée dans l'espace, mais tout son corps grandit, se modèle, se déchire, se recompose. Mais son œil, immense, reste en face de mon visage, sans ciller.


J'essaie à nouveau de retirer mes mains pour essayer de me débattre. Tentative sans plus de succès que la précédente.
Il est terrifiant, glaçant, de fixer un regard sans émotion, sans paupière, aussi, alors que moi suis obligée de cligner des yeux en continue pour en chasser mes larmes.
Comment a t il pu se transformer comme ça ? Zelda et moi ne l'avions pas conçu ainsi. C'est Ganon qui l'a remodelé avec sa Rancœur. Les Hyruliens n'ont vraiment aucune chance face à lui s'il prend le contrôle aussi des créations d'origine Sheikah... Hyrule sera détruite, pour de bon, sans espoir de retour une fois qu'il se réveillera.
Étonnement, cette pensée me réjouit moins que ce qu'elle aurait dû.

Deux mains faites de Rancœur surgissent de son tronc de Malice, et m'enserrent le corps dans un étau brûlant. Il me soulève pour que je suive le mouvement quand il se redresse.
Les pistons sur la roue mécanique autour de sa tête s'allume en s'activant de manière parfaitement inattendue.
Une musique se met à résonner étrangement. Étouffée alors que j'aurais dû l'entendre parfaitement. Discordante. Ce n'est pas le bon rythme. Et pourtant, je la reconnais.
D'une voix étranglée, je le défie :

- Tu peux toujours rêver. Même en prenant le corps de Terrako, tu n'arriveras pas à m'amado...

Je crache du sang dans un cri quand il me broie les côtes, la colonne vertébrale, les épaules et les poumons au passage.
Ma tête retombe sur ses pinces, comme si j'étais un pantin désarticulé.

- Jamais je ne m'inclinerai devant toi. Ce n'est pas de toi que j'ai peur, Emprise. C'est Ganondorf que je crains. Tu n'es qu'une pâle copie.

Je m'attends à des représailles, les yeux fermés. Pourtant, rien. Je m'oblige à relever la tête.
Des caractères Sheikahs défilent de nouveau dans son œil.

" Vous, Hyruliens, êtes des êtres de froid et de faim, de douleur et de tristesse, de maladie et de mort. Sans espoir d'une quelconque clémence de la part de celle que vous adulez. C'est pour ça..."

Alors que j'avais commencé à me régénérer, il me broie une nouvelle fois. Je lui crache du sang à la figure, maculant la vitre de son œil de rouge poisseux.

"... que je sais que face à votre faiblesse, je gagnerai toujours. Je n'ai pas peur de vous. Et encore..."

Je veux pousser un cri la milliseconde où je comprends ce qu'il va faire, quand la peau de mon cou commence à être entaillée de tous les côtés par ses pinces. Je n'en ai pas le temps, et plus les moyens.

"...moins de toi."

Explosion de douleur. Le noir.


Puis plus rien.



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⏰ Dernière mise à jour : Nov 08 ⏰

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Chroniques d'Hyrule : 1. Haine, Rancœur et VengeanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant