Chapitre 15 : Les Silences de la Table.

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Le palais s'élevait devant eux comme une citadelle intemporelle, ses grandes portes en bois massif finement sculptées s’ouvrant avec une lenteur calculée, invitant Maëlle et Victor à pénétrer dans ce sanctuaire de puissance et d’histoire. Dès qu'ils franchirent le seuil, une nouvelle atmosphère s'imposa à eux : l'air, imprégné d'un parfum d’encens et de bois précieux, contrastait avec la brise salée de la plage qu’ils venaient de quitter. L'intérieur du palais semblait appartenir à un autre monde, un monde où chaque pierre racontait un fragment d’histoire.

Un serviteur les attendait, vêtu de soie chatoyante, ses yeux abaissés dans une posture respectueuse. Il n'eut pas besoin de parler, son regard seul les invita à le suivre. Sans un mot, Maëlle et Victor emboîtèrent le pas. Tandis qu'ils avançaient à travers les longs couloirs, ils étaient plongés dans une splendeur presque écrasante, chaque pas les rapprochant davantage de l’épicentre du pouvoir royal.

Les murs étaient recouverts de tapisseries si fines qu'elles semblaient flotter, racontant des récits de batailles anciennes, d’alliances nouées et rompues, de royaumes tombés sous la fureur des épées ou renaissant des cendres sous la sagesse des rois. Chaque détail de ces œuvres d’art semblait vivant sous la lumière tamisée des bougies qui vacillaient doucement dans les lustres d’argent suspendus aux plafonds voûtés. Les dorures des encadrements brillaient comme des éclats de soleil figés dans le temps.

Le sol, un immense parterre de marbre poli, résonnait sous leurs pas. Des mosaïques incrustées de pierres précieuses formaient des motifs complexes à leurs pieds, des entrelacs d’étoiles, de fleurs et de symboles ésotériques. La lumière s’y reflétait, créant des éclats scintillants qui dansaient sur leurs visages à chaque pas. Chaque détour de couloir révélait de nouvelles merveilles : des sculptures finement taillées représentant d’anciennes figures royales, des vases d’un autre âge ornés de motifs floraux délicats et remplis de fleurs exotiques.

Maëlle ressentait une étrange oppression. Ce palais, aussi magnifique soit-il, semblait imprégné d’une gravité insondable, comme si les murs eux-mêmes étaient les gardiens silencieux de secrets anciens, dissimulant des intrigues séculaires. Chaque pas résonnait, rappelant la présence invisible de ceux qui les avaient précédés ici, des monarques oubliés, des invités prestigieux, peut-être même des traîtres ayant rencontré leur fin dans l’ombre de ces couloirs.

Enfin, après ce qui leur sembla être une traversée interminable à travers ce dédale de couloirs et de galeries, ils atteignirent deux portes colossales en bois sombre. Leur surface, minutieusement travaillée, était couverte de motifs floraux entrelacés avec des lignes géométriques complexes, des symboles dorés et argentés scintillant sous la lumière vacillante des torches. Le bois était patiné par le temps, mais chaque gravure, chaque détail, semblait intact, soigneusement préservé comme pour témoigner de la continuité de la royauté.

Les portes s’ouvrirent avec une fluidité presque surnaturelle, ne laissant échapper aucun grincement. Maëlle et Victor échangèrent un regard, un mélange de curiosité et de crainte. Devant eux s'étendait une immense salle à manger qui surpassait toutes leurs attentes. La pièce entière semblait conçue pour imposer un respect silencieux à quiconque s’y aventurait.

Le sol était recouvert d’un épais tapis rouge aux motifs complexes, bordé de fils d’or, qui se déroulait comme un chemin sacré menant au cœur de la pièce. Au centre, trônait une table monumentale en bois massif, sculptée à la main avec une précision presque irréelle. Le bois, sombre et lustré, portait des gravures détaillées, représentant des scènes de chasse, de banquets royaux, et de légendes anciennes. Les pieds de la table, ornés de griffes dorées, semblaient ancrer cette pièce maîtresse dans le sol, comme pour la relier aux entrailles mêmes du palais.

Au-dessus de la table, un lustre gigantesque en cristal projetait une lumière douce et scintillante, chaque facette captant la lumière et la renvoyant dans un éclat de mille couleurs. Des fresques aux couleurs riches et profondes ornaient les murs, représentant des caravanes traversant des dunes dorées sous un ciel étoilé, des scènes évoquant à la fois la richesse de la culture locale et la splendeur des anciens empires qui avaient traversé cette terre.

Le roi les attendait déjà, assis au bout de la table, tel une statue vivante, drapé dans une robe blanche ornée de broderies d’or délicates. Un turban noir sur la tête, il dégageait une aura de sagesse et de pouvoir indiscutable. Ses yeux, sombres et perçants, fixaient Maëlle et Victor avec une intensité calculée. Son visage, malgré son impassibilité, laissait transparaître une bienveillance mesurée, comme celle d’un homme habitué à jauger ses interlocuteurs avant de leur accorder sa confiance.

Il leva une main ornée d’anneaux d’or et de pierres précieuses, les invitant à prendre place sans un mot.

— "Soyez les bienvenus à ma table" , déclara-t-il enfin, d'une voix grave mais douce, qui résonna dans la vaste salle comme une onde subtile.

Maëlle et Victor prirent place sur des chaises richement décorées, leurs pieds reposant sur le tapis moelleux qui étouffait tout bruit. À peine installés, une armée de serviteurs apparut, portant des plateaux d’argent chargés de plats somptueux. Le silence religieux qui régnait jusque-là fut brisé par le tintement des couverts d’argent et le bruit doux des assiettes de porcelaine qui s’entrechoquaient à peine. La table, vide un instant plus tôt, se transforma rapidement en un véritable festin digne des plus grandes cours royales.

Au centre trônait un tajine monumental. Le couvercle en céramique fut soulevé dans une cérémonie silencieuse, laissant échapper un nuage de vapeur parfumée qui emplit immédiatement la pièce. L’arôme complexe des épices orientales – cannelle, cumin, coriandre, safran – envahit les sens de Maëlle et Victor, les enveloppant dans une chaleur réconfortante. Sous le couvercle, des morceaux d'agneau tendres baignaient dans une sauce épaisse, infusée de miel et de fruits secs, tandis que des graines de grenade scintillantes et des amandes grillées ajoutaient des touches de couleur et de texture.

Le couscous, disposé en monticules légers autour du tajine, était accompagné de légumes croquants et de pois chiches dorés, le tout sublimé par une huile d'olive dorée qui luisait sous la lumière du lustre. Chaque plat était une invitation au voyage, une découverte des saveurs raffinées et équilibrées de cette terre où le sable du désert rencontrait la richesse des marchés orientaux.

Maëlle prit une première bouchée, savourant le mélange subtil des épices et de la tendreté de la viande. Chaque saveur semblait parfaitement orchestrée, créant une harmonie parfaite dans sa bouche. Victor, plus réservé, observait le roi, essayant de comprendre les implications de ce banquet. Ce repas était bien plus qu’un simple accueil : c’était un rituel, une première épreuve silencieuse, une invitation à pénétrer dans l’intimité de ce royaume millénaire.

Le roi, quant à lui, ne touchait presque pas à la nourriture, se contentant de siroter une infusion à la menthe dans une tasse en porcelaine finement décorée. Ses yeux suivaient chacun des gestes de ses invités, analysant leur manière de manger, leurs réactions face aux plats exotiques, comme s’il cherchait à lire dans leur comportement les intentions qui les avaient menés ici.

Après le plat principal, un assortiment de desserts fut apporté. Des pâtisseries délicates, parfumées au miel et à la fleur d’oranger, fondaient littéralement sous la langue. Le sucre, mêlé aux amandes et aux pistaches, laissait un arrière-goût floral qui transportait Maëlle et Victor dans les jardins luxuriants d’un Orient mythique.

Lorsque le festin toucha à sa fin, Maëlle remercia chaleureusement le roi, sentant que ce moment de partage allait bien au-delà de la simple dégustation. Victor, visiblement épuisé par l’intensité de cette rencontre, se tourna vers sa cousine avec un sourire fatigué.

— "Je vais monter dans ma suite, j’ai besoin de réfléchir un peu à tout ça" , dit-il doucement.

Maëlle hocha la tête. Elle aussi sentait le poids de la journée, mais son esprit restait en éveil. Tandis que Victor quittait la salle, elle demeura un instant, absorbée par la beauté de ce palais, par les mystères qu’il recelait, et par l’intensité des regards du roi, qui, même en silence, semblait déjà avoir compris bien plus qu’elle ne pouvait l’imaginer.

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