Chapitre 1

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Je me lève en lançant un "je reviens" par dessus mon épaule. Je ne sais pas ce qui m'attend, je ne sais pas combien de temps ça va durer ni comment ça va se terminer. Je marche d'un pas rapide tout en m'efforçant de ne pas me faire remarquer. Les serveurs sont trop occupés à faire le service et je pousse la lourde porte sans que personne ne me remarque. Je la referme derrière moi et je me retrouve quasiment dans le noir. De fines lumières éclairent à peine l'escalier donnant sur le toit. Je le monte rapidement en tentant d'analyser les bruits autour de moi, de deviner s'il y a une présence.

J'atteins enfin le toit, je m'approche d'un pas hésitant sans pour autant abandonner mon inquiétude. Lorsque je l'aperçois sur le rebord, se soutenant sur un petit mur, mon cœur s'affole bizarrement. Je sens ma bouche devenir sèche et je réfléchis avant de parler, avant même d'avancer d'un millimètre. Ses cheveux partent dans tous les sens à cause du vent, les reflets d'or rose s'illuminent à la lumière de la lune. Je fais un pas et elle se retourne, brusquement. Je ne sais pas comment elle a fait pour m'entendre, et je me retrouve muet l'espace d'une seconde. Elle m'observe un peu avant de me tourner le dos à nouveau.

- Qu'est-ce-que tu fais là ?

Je suis surpris par le calme de sa voix et la simplicité de sa question.

- Je pourrais te retourner la question, rétorqué-je en essayant de faire la conversation.
Je dois gagner du temps, la convaincre de ne pas faire de bêtise. Elle ne répond pas et je parle à nouveau.

- Comment est-ce-que ta soirée se déroule ?

Je regrette ma question, quel petit con, je me rend compte depuis une heure, ou plutôt plusieurs mois, qu'elle n'est pas heureuse et je pose cette question débile... En en plus je ne sais pas vraiment si ça me regarde. On ne se connaît pas après tout.

- Si je suis là c'est que je ne passe pas la meilleure soirée de ma vie, tu ne crois pas ? Me demande-t'elle en se retournant.

Je l'ai clairement mérité et dans un moment de désespoir j'aborde tous de suite le sujet douloureux.

- Écoute, tu ne devrais pas faire ça. Tu es encore jeune. Je peux te raccompagner chez toi si tu veux, mais ne fais pas ça...

- Faire quoi au juste ? Elle se retourne complètement et relève les sourcils.

- Eh bien... Faire ce que tu t'apprête à faire. Ne saute pas s'il-te-plait, soufflé-je sans avoir grande inspiration.

Elle éclate de rire, discrètement au départ, puis elle se met à rire plus fort. Elle est tellement belle quand elle rit... Je me sens idiot sur le coup, mais je me dis que n'importe qui aurait pu croire la même chose que moi. Elle rit toujours, mais son rire est étrange, j'ai l'impression qu'il pourrait se transformer en pleure d'un moment à un autre.

- Content de te faire rire, mais je ne vois pas ce qui est drôle, demandé-je vexé.

- Et bien, tu penses que je vais me suicider... Ça me paraît un peu extrême non ?

Elle se moque clairement de moi et elle m'énerve encore plus.

- Tu es sur un toit, seule, au bord d'une chute de plusieurs étages. Tu n'as pas l'air heureuse, tu ne souris jamais. Je ne vois pas où est le mal d'avoir pu croire à une telle chose. Et tu ne m'a pas dis ce que tu faisais là.

Elle ne sourit plus du tout à présent et me tourne à nouveau le dos. Elle soupire discrètement et je reste planter là à attendre qu'elle parle. J'ai l'impression d'avoir dit une chose qui ne fallait pas.

- Tu n'as pas posé la question, lance-t'elle enfin.

- Quoi ?

- Tu as émis l'éventualité de poser la question, tu ne m'as pas réellement demandé ce que je faisais ici, rétorque-t'elle pleine d'assurance.

J'ai l'impression qu'elle me prend pour un imbécile, même si elle n'a pas totalement tord.

- Bien, soupiré-je. Alors, que fais-tu ici ?

- J'aime bien être ici, c'est calme, apaisant. Je me sens mieux là.

Elle tourne le visage et regarde dans le vide. D'accord je me suis peut-être fait des films, elle n'est pas suicidaire, mais elle n'en est pas heureuse pour autant .
Elle descend de la grande marche et s'approche vers moi. Je ne l'ai jamais vu d'aussi prêt, je pourrais la toucher si je relevais la main. Ses yeux sont plus foncés que ce que j'imaginais. Elle est tellement belle que je reste comme un enfant devant elle, intimidé et silencieux. Je me met une claque imaginaire en fixant son regard.

- Merci, murmure-t'elle avant de sourire légèrement et de repartir.

Elle passe devant moi et elle disparaît avant que je n'ai pu me retourner. Pourquoi m'a-t'elle remercié ? Je ne sais rien de plus sur elle, je ne connais pas son nom, j'ai seulement entendu le son de sa voix.

Je ne tente pas de la rattraper parce que je ne veux pas la brusquer. Elle m'a parlé, elle sait maintenant que j'existe. Je passe une main dans mes cheveux blonds déjà en pagaille et j'inspire l'air frais avant d'allumer une cigarette. J'écrase mon mégot au sol quelques minutes plus tard et je redescend.

Lorsque j'arrive en bas, elle est assise à sa table comme si rien ne venait de se passer. Je rejoins mes amis et ils lèvent tous le visage vers moi.

- On peux reprendre ?

L'avantage avec nous, les mecs, c'est qu'on est beaucoup moins curieux que les filles. Et en plus, on n'imagine pas des choses à chaque mouvement. Notre imagination est moins débordante, je suppose. Mon ami Jack me pose la question avec désinvolture et je m'assois avec le même esprit avant de reprendre là où l'on s'était arrêté. Je m'autorise à la regarder, une fois de plus, et elle finit son repas en m'ignorant.

Elle repart environ une demi-heure plus tard, et malgré le fait que ce soit notre premier vrai échange, j'ai l'impression que je vais devoir aller jusqu'au bout maintenant. D'abord parce que j'adore qu'on me résiste, ça rend les choses plus intéressantes, et ensuite parce qu'elle m'attire dangereusement. Ce n'est plus seulement physique, elle est différente, elle me semble à part, sans que je ne sache rien à propos d'elle.


Sur ses lèvresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant