Tome 2-ch2-Elisa

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Le soleil est déjà haut dans le ciel malgré l'heure matinale et je m'en réjouis. J'ai recommencé le travail depuis trois jours, exprès pour ne plus penser à Damien, ni au fait que je n'ai aucun signe de vie de sa part. Mélanie l'a très vite compris, puisqu'elle a accepté ma demande avec bonheur. Emmitouflé dans son cosy, Eden dort à poings fermés tandis que je traverse les avenues de la ville. Danielle habite à une vingtaine de minutes à pieds, ce qui n'est pas si loin que ça. De toute façon, si j'allais chez elle en voiture, je mettrais plus de temps encore dû aux légendaires embouteillages de New-York. Deux fois par semaines, Danielle gardera son petit-fils alors que je me rendrais au boulot. Les deux autres jours restant, Eden ira à la crèche que j'ai réservé depuis bien longtemps, sans jamais avoir osé l'y mettre. Elle et moi, nous nous entendons beaucoup mieux et je ne la remercierais jamais assez de prendre autant soin de mon fils.
Être mère solo, c'est plus que compliqué. Enfin j'adore mon fils, je sais m'en occuper, fort heureusement, mais ma dépression n'a jamais été simple à gérer. Surtout sans ces fameux cachets.

Mais je vais vers un mieux, j'en suis persuadée maintenant.
Il va revenir. Merde ! Damien va revenir !

Depuis la semaine dernière, jour où Connor m'a annoncé le retour de Damien, je suis comme une bombe à retardement. Je suis nerveuse, anxieuse et je ne cesse de m'occuper pour tenter de ne pas penser. Mais c'est impossible. L'idée de le revoir me met dans tous mes états. Je pleure... Enormément même. Parce que je n'osais plus espérer qu'il revienne. C'est le pourquoi je compte sur le boulot pour m'aider.
Je prie aussi, je remercie le Seigneur de me l'avoir enfin rendu. Mais dans quel état le retrouverai-je ? Abimé, je le sais. Élimé aussi, mais de quelle sorte ?

Tant de questions me retournent le cerveau que je suis bien pire qu'au bord de la folie.

J'ai honte de le dire, mais j'harcèle Connor pour savoir. Où est-il ? Que fait-il ? Avec qui est-il ? Que s'est-il passé durant cette année ? Mais surtout, comment va-t-il ?

Evidemment, les infos que détient l'armée ne filtrent pas, et donc, les seules informations que Connor ne me dit rien qui répond à mes questions. Alors j'angoisse.
J'ai la trouille.

La peur de le revoir, de ce que je dois dire ou non, faire ou pas. Bref, je suis flippée de le retrouver, même si j'attends son retour avec impatience.

Quand j'arrive chez Danielle, c'est avec le cœur qui bat la chamade. Je n'ai pas eu de ses nouvelles depuis vendredi passé et je ne sais pas si elle est au courant pour son fils, je sais que oui, dans le fond, mais je serais assez déçue qu'elle n'ait pas jugé bon de m'en informer. Je sonne à la porte d'entrée et rapidement, elle vient m'ouvrir. Comme à son habitude, Danielle m'accueille pomponnée et souriante.

—Bonjour ! Il fait déjà bon !

—Oh oui ! On ne va pas se plaindre.

Elle se penche pour attraper les deux roues avant de la poussette et nous la soulevons. Une fois à l'intérieur, je découvre légèrement Eden sans le réveiller et la suis dans la cuisine.

Elle se dirige vers la cafetière et verse le café dans deux tasses foncées.

—Il a mangé à quelle heure ?

—Sept heures pile.
Elle hoche distraitement la tête et se retourne vers moi, qui me suis assise sur un des hauts tabourets. Et là. Je me dis qu'elle sait. Elle affiche un sourire au coin des lèvres qui me l'assure. Ses prunelles qui pétillent ne peuvent pas me tromper.

—Vous savez ?

Elle dépose la tasse devant moi, arrête de sourire et s'empare de la sienne.

—De ?

Elle souffle sur le breuvage noir et en avale une gorgée, feintant l'ignorance, et ça m'énerve. Et si Connor ne m'avait rien dit ? M'aurait-elle avertie ?

—Pour Damien.

Elle relève la tête vers moi, ne dit rien. Elle savait et ne m'a rien dit. Je ferme les yeux quand je sens que je vais craquer. Je ne veux pas pleurer devant elle, ni devant personne. Pourquoi ne m'a-t-elle rien dit ? Mes mains commencent à trembler de nervosité.

—Je ne t'ai rien dit parce que je ne le pouvais pas, Elisa. Ce sont des informations classées secret défense.

Je n'ose pas répondre, de peur d'être méchante. Pourtant, je la comprends, et je comprends parfaitement les règles imposées par l'armée, mais... Je ne suis pas n'importe quelle femme de passage dans la vie de Damien, merde ! Je suis quand-même la mère de son fils, celle qui l'a pleuré pendant douze putains de mois. Je pensais qu'elle m'en aurait parlé, parce qu'elle aurait été heureuse pour Eden, pour moi. Mais non. On préfère me laisser croire qu'il est mort, parce que cette connasse d'armée l'exige ! Et si Connor n'avait pas eu pitié de moi ? L'aurais-je su un jour ?
Je me redresse, faisant grincer les pieds du tabouret sur le vieux parquet de la cuisine et attrape mon sac.

—Elisa...

—Je...
Je soupire. J'ai besoin d'air. J'ai besoin de respirer, de me calmer, de me dire qu'elle n'a rien fait de mal.

—Je vais être en retard. Et j'ai besoin de... Je vais y aller.

Elle acquiesce, acceptant sûrement ma peine vis-à-vis de la situation. D'ailleurs, je ne pense pas qu'elle sache à quel point, en cet instant, je souffre, ni à quel point je suis dépassée par tout ça.

Avant de sortir, je caresse du bout des doigts ceux de mon fils, embrasse son front et pars.

J'ai beau tenter de me concentrer sur l'écran de mon pc, je n'y arrive pas. Mes pensées sont occupées par Damien. Je ne pense plus qu'à lui, de toute façon. Où en est-il ? Est-ce que l'armée l'a déjà récupéré, ou non ? Est-il en bonne santé ? Et moralement ? Je suis tellement en état de nerfs que je n'avance pas dans mon boulot. Je grimace même quand Mélanie ouvre la porte de son bureau, et qu'elle me demande si j'ai bien avancé la réunion de Monsieur Lareel. Non, je n'ai rien fait, absolument pas, même s'il était noté sur ma liste de tâches.

—Toi, me dit-elle en s'avançant vers moi l'index dressé, tu vas prendre des jours de congé.

Je soupire. Congé rime avec penser. Congé rime avec déprimer aussi, anxiété, nervosité, pleurer, se tracasser.

—Hein ? Non. Je viens à peine de recommencer !

—Elisa, souffle-t-elle. T'es ailleurs. Rentre chez toi, occupe-toi du p'tit et fais-toi une cure de vitamines avant qu'il ne rentre.
Je relève mon visage vers elle, scrute sa moue de poupée impassible. Ouais, elle est on ne peut plus sérieuse. Pourtant, l'idée d'être seule avec mes pensées ne me tente pas.

—Connor ne t'a rien dit de neuf ?

Elle pince ses lèvres peinturlurées de rouge, secoue doucement la tête par la négative.

—Non, toujours rien. Mais je suis sûre que dès qu'il aura des nouvelles, il te le dira.
J'opine du chef, mollement, peu convaincue. On ne me prévient déjà pas de grand-chose, alors je doute qu'on m'informe plus.

Néanmoins, je refuse les congés qu'elle m'offre. Je n'ai pas envie d'être confinée entre mes quatre murs et de me rendre malade à penser à ce qu'il va suivre. Je ne peux pas m'empêcher d'imaginer nos retrouvailles. Je le vois, tel qu'il était en partant : beau, fort et sûr de lui. Je me vois, en train de lui sauter au coup en pleurant, cherchant ses lèvres, respirant son odeur rassurante. Je souris en imaginant cette scène, avant que la réalité ne me rattrape.

Un an prisonnier, ça ne peut pas le laisser indemne. Une année loin d'ici à vivre ce je ne sais quoi, ne peut pas me le rendre aussi bien qu'il ne l'était. Est-ce qu'il m'aime encore ? Imaginons que tout ait changé entre nous ? Il ne sait même pas pour Eden, il ne sait même pas la vie que j'ai maintenant. 

Un jour trop tardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant