Tome 2-Ch 22-Elisa

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J'ai le moral en berne à l'idée de retourner chez Danielle. Pas que je n'ai pas envie de reprendre mon fils, loin de là. Mais après cette nuit, cette pique lancée ce matin, et cette longue journée à ruminer, je ne suis pas d'humeur à croiser Damien, ni à faire comme si tout allait bien dans le plus merveilleux des mondes. Mélanie a été claire : si je continue ainsi, il finira par en avoir marre de mes questions, et partira à l'autre bout du monde, sans moi. Sauf que je ne sais plus comment dois-je agir pour que nous repartions sur de nouvelles bases. Comment accepter que lui et moi, ça ne pourra jamais redevenir comme avant ?
Ça me gonfle.

Je traverse sur le passage clouté, au milieu des passants et resserre mes doigts sur l'anse de mon sac. Plus je m'approche de la maison, et plus je suis nerveuse.
Lorsque j'étais petite, je n'aimais pas me rendre à l'école, seulement parce qu'il y avait ce gars, qui m'impressionnait avec son sale genre de morveux. J'étais son bouc émissaire, et du coup, mon père était presque obligé de m'y amener de force. Il me hurlait dessus chaque matin, pour que je me dépêche d'enfiler ma tenue, pour que je grimpe dans la voiture, pour que j'arrête de pleurnicher. Ce n'était pas méchant de la part de mon père, juste qu'avant, les parents ne se mêlaient pas des histoires d'enfants – rares étaient ceux qui le faisaient – et puis, le harcèlement scolaire, on n'en parlait même pas. Aujourd'hui, j'ai l'impression de revenir en arrière, sauf que je n'ai plus huit ans, mais vingt-sept, et que le gars ne m'impressionne pas de la même manière. Non, Damien, lui c'est bien pire ! Il est beaucoup trop beau, il a des yeux trop verts, un sourire trop taquin, un corps trop parfait... Et j'en suis raide dingue amoureuse.
Il n'est plus le même, je le sais, je l'ai remarqué aussi. Mais mon cœur, lui, ne saisit pas encore la nuance. Il me blesse pourtant, il m'énerve aussi à être une contradiction, mais je l'aime. Trop ? Je ne crois pas. D'ailleurs, qui peut dire que l'amour que nous ressentons est trop, ou pas assez ? On n'aime jamais assez une personne, je pense, pas quand on n'est point rassasiés d'elle.

Dix-sept heures trente-deux. Je suis encore en retard, mais ça va, je sais que Danielle adore garder Eden et que plus je suis à la bourre, et plus ça l'arrange. Je m'immobilise en apercevant Damien de loin, assis sur les marches du perron. Sur ses genoux, notre fils. Il lui parle, sourit avant d'embrasser sa joue, et à cet instant précis, je réalise que non, je ne l'aime pas trop. Je l'aime, bien plus que de raison. L'image de Damien et d'Eden, ensemble m'a tant de fois fait espérer, tellement je l'ai rêvé. Élever un enfant seule, n'a rien de facile, encore moins quand on ne sait pas ce qu'est devenu son militaire de père. Un infime espoir dans le fond, m'a fait tenir durant cette année, et de les voir ainsi, me fait craquer. Mon corps est pris de légers spasmes, lorsque je retiens mes sanglots. S'il ne veut plus de moi, tant pis. Eden l'aura, lui, et c'est ce qu'il m'importe le plus.

—Hey, voilà maman !
Il m'adresse un sourire quand j'arrive devant lui, et je me penche pour embrasser Eden sur le front.

—Coucou bonhomme.

—Playboy, pas bonhomme.

Je ris.

—Et mon bisou ?

Je dois rougir, j'en suis certaine.

—Tu ne le mérites pas, je pense.
Damien soupire théâtralement tandis que je lève les yeux au ciel.

—Pas encore... Parce que tu ne sais pas si j'ai été sage ou non, me taquine-t-il en se relevant.

Il me donne Eden et prend mon sac, en échange avant de me faire entrer dans la maison.

—Ta maman n'est pas là ? demandé-je.

— Tu sais, je suis un grand garçon, elle peut me laisser le bébé sans craindre quoique ce soit.

Un jour trop tardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant