J'avale le verre d'eau fraîche que me tend ma mère, le sourire crispé. Sérieux ? Elle organise un repas aujourd'hui ? Pas que je ne comprenne pas sa joie, mais j'aurais tant voulu m'allonger, dormir, ou encore parler tranquillement. Enfin, être au calme.
Dans la maison de ma mère, des ballons ont été attachés ensemble sur les murs, des guirlandes en papier coloré aussi. J'ai la nette impression de me retrouver coincé à l'anniversaire d'un mioche de cinq piges. Sauf que je ne dis rien, puisqu'elle a fait tout ça pour moi et que sa joie évidente ne peut pas être entachée par mon humeur de merde. Je ne sais pas vraiment ce qu'il m'arrive. C'est juste que je suis mal à l'aise de toutes ces attentions, que je n'aime pas être ici, avec tous ces yeux braqués sur moi. Puis, la vue d'un parc pour bébé me retourne le ventre. Je m'approche, pose les mains sur le cadre de bois et regarde l'intérieur d'un œil vide, avant de saisir une peluche de girafe aux couleurs vives. Je sens les larmes border mes cils, mais je les retiens, parce que je n'ai pas envie de craquer devant tout le monde, ni d'admettre que cette vie qui m'attend risque d'être bien trop compliquée.
Un bébé... La petite couverture beige dans le fond, est douce sous mes doigts qui l'effleurent. J'ai envie de la sentir, de respirer cette odeur que je ne connais pas encore, juste pour imaginer celle que doit avoir mon fils.
Elle était là, sans lui. Elisa n'osait pas venir vers moi, pourtant, j'aurais adoré qu'elle me saute dessus et qu'elle m'embrasse à pleine bouche, comme on le voit dans ces films cucul. Pourquoi je ne l'ai pas fait moi ? Je ne sais pas. Trop d'émotions, dirais-je, ou bien la peur. Parce que je flippe qu'elle me rejette, qu'elle ne me voit plus comme le Seals grand, fort et fier que j'étais. Je voudrais revenir quelques heures en arrière, et lui murmurer un « viens, on se casse, juste toi et moi... »
Mais elle a un bébé. Alors nous ne pouvons pas faire ça.
Et dans le fond, c'est mieux si je reste éloigné d'eux deux, juste le temps de redevenir moi-même. Je repose la peluche, me redresse et m'installe dans le canapé, juste à côté. Connor ne me lâche pas des yeux, même s'il est à l'autre bout de la pièce et je lui fais un léger sourire, pour qu'il comprenne que, ouais, ça va. Il s'avance vers moi, s'assied à mes côtés, une bière à la main.
—Mélanie est avec Elisa, comme au bon vieux temps. Elles vont sûrement arriver.
—Avec le bébé ?Connor fronce les sourcils, comme si je venais de dire une connerie, et opine du chef.
—Ça va de soi.Oui mais non, par pour moi, pas dans mon monde, ni dans la vie qui m'appartenait il y a encore quelques jours. Je ferme les paupières, soupire quand la paluche de Connor s'écrase sur ma cuisse.
—Dam, un bébé, ça ne mord pas, ok ? Il n'a même pas encore de dent.
Je ricane, forcé de constater que Connor essaie tant bien que mal de me détendre.
—Tu veux voir des photos ?Il me l'a déjà demandé dans l'avion, mais j'ai refusé. Et là, c'est pareil. Non.
—Je le verrais en vrai, c'est mieux.
Mieux ? Je ne crois pas non. Juste que je ne me sens pas prêt, que je ne me sens pas père, non plus. Ma mère s'active autour de la grande table de la salle à manger, et très vite, la sonnette retentit dans la maison. Je lâche mon verre sur le carrelage, jurant alors que mon dos se couvre de sueurs. J'essuie mon front trempé et reste assis quand ma mère accourt à la porte. Connor me regarde, l'air soucieux tandis que je ramasse les morceaux de verres en me charcutant les doigts.—Calme-toi, Damien. Sérieux, zen.
—Qui voilà ?!
Mélanie entre dans le salon, complètement surexcitée et moi, je ne sais pas vraiment comment je suis censé me comporter. Après tout, nous ne nous connaissons pas très bien.
Je me lève, maladroitement et, me crispe quand elle me prend dans ses bras.
—Comment tu vas ? T'as rasé tes cheveux ? C'est bien ! Ça te va plutôt pas mal ! N'est-ce pas Elisa ?
Les battements de mon cœur s'accélèrent quand je regarde par-dessus son épaule, et que je la vois, elle. Elle porte à bout de bras un maxi-cosy et je sens que je vais bientôt m'évanouir. Mes jambes se mettent à trembler, de manière incontrôlable et je suis obligé de m'assoir. Merde, elle est là, et le bébé aussi.
—Rentre, ma chérie ! crie ma mère.
Mon regard ne quitte pas Elisa tandis que le sien évite à tout prix de se poser sur moi. Elle est plus pâle que dans mes souvenirs, plus mince aussi. Je peux encore sentir son parfum, celui qu'elle portait à l'aéroport, et qu'elle a d'ailleurs toujours porté. Je voudrais encore la tenir dans mes bras, pour retrouver une partie de moi. Sauf que là, je ne peux que rester immobile tant je suis pétrifié par ce qu'elle porte à bout de bras.
Elisa dépose le maxi-cosy à ses pieds, et enlève son imper foncé. La robe pourpre qu'elle porte est sublime, tout en restant sobre, et je déglutis quand je remarque à quel point ce morceau de tissu met divinement bien en valeur la rondeur de ses seins.—Dam, murmure Connor en ramassant les débris de verre sur le sol, va voir le petit.
S'il n'essayait pas d'être discret, je pourrais jurer qu'il grogne tel un ours mal léché.
Je me redresse, et, d'un pas peu assuré, me dirige vers Elisa, toujours dos à moi. Elle sursaute quand elle se retourne, et qu'elle me fait face. Mélanie s'extasie déjà, ma mère me mitraille de photos.
—Je... Je peux le voir ?Elisa cligne plusieurs fois des yeux avant de hocher la tête et de s'agenouiller. Je l'imite, même si je ne suis pas sûr de mes jambes et retiens mon souffle jusqu'à ce qu'elle enlève la capote noire du maxi-cosy. Un bébé minuscule y est confortablement installé. Il dort, et je n'ose pas le toucher. Il est beau, vraiment beau avec ses deux joues bien potelées et ses cheveux noirs qui partent dans tous les sens.
—Tu veux le prendre ? me demande-t-elle doucement.Je remonte mon visage vers le sien, secoue la tête et, devant son air déçu, me relève. Il faut que je respire.
∞L'air me fait immédiatement du bien, dissipant l'angoisse qui me broyait les côtes.
—Fait chier !
J'hurle dans l'obscurité du jardin, me frottant frénétiquement le cuir chevelu. Je tourne en rond, tel un fou, mes idées se brouillent et je ne sais même plus où j'en suis. Je n'étais pas prêt, je n'aurais pas dû venir à ce dîner débile, je n'aurais pas dû les voir maintenant. C'était trop tôt, même si j'en crevais d'envie, c'était trop tôt, même si c'est normal qu'ils soient présents.
La porte de la maison grince et la lumière de la terrasse s'allume. Je me retourne et aperçois Elisa, qui a remis son imper. Elle s'appuie contre un des poteaux qui porte le toit de la pergola et me regarde tristement.
Je souffle, pour évacuer toutes ces tensions qui me tordent le ventre et me rapproche.
—Je suis désolé, dis-je.Elle me fixe, sans rien dire, sans émettre le moindre mouvement. Alors je reprends :
—Je suis désolé, mais... Je ne sais pas, je ne sais pas comment je suis censé faire, ni comment je dois agir avec toi, ni... Je suis paumé.
Elle ferme les yeux et j'observe ses larmes couler le long de ses joues. Je scrute chacun de ses traits fins, chacune de ses mimiques parce que je les avais presque oubliées. Elle finit par tirer une chaise, et je vais m'assoir face à elle. Elle est belle, magnifique même, comme dans mes souvenirs.
—Comment vas-tu ?
Sa voix est basse, fébrile, mais sa question me fiche une claque.—Je...
Je n'arrive pas à lui dire, et puis d'ailleurs, si je lui disais que j'allais bien, je lui mentirais. Je ne suis pas bien. Je me sens mal, perdu et les angoisses me bouffent de plus en plus.
—Ça ira... Et toi ?Elle essuie ses larmes, et sourit sincèrement.
—Ça va mieux, répond-elle la voix emplie de trémolos. Ça va beaucoup mieux depuis que je sais que tu es en vie.Ses pleurs se mêlent à son rire nerveux et je soupire, avant de baisser le regard sur mes mains jointes. Je ne veux pas qu'elle voit à quel point je suis bouleversé de me retrouver face à elle, particulièrement. Je triture les croûtes qui se forment sur mes poings, et essaie de mettre de l'ordre dans mes pensées. J'ai tant de choses à lui dire, mais je ne sais pas de quelle façon les sortir. Je voudrais rattraper le temps perdu avec elle, sauf que je ne suis plus celui qu'elle a connu, et elle n'est plus celle dont je me souviens. On a un fils, putain. Et ça, ça change absolument tout. —J'ai besoin d'un peu de temps, murmuré-je. Juste un peu...
Elle renifle et je relève les yeux vers elle, en quête de pardon, ou de compréhension du moins. Sa bouche entrouverte et son visage las me disent que ce n'est pas gagné. A quoi je m'attendais ? Je l'ai prise dans mes bras, lui ai dit qu'elle m'avait manquée... Puis, je l'ai revue et je l'ai vue, elle, dans ma tête. Cette femme enceinte que j'ai abattue. Et je me suis barré. Parce que c'est difficile de supporter de telles images, parce que celle que j'aime et cette inconnue ont un point en commun : ce sont des mères.
—Ok, lâche-t-elle, du temps...
Je hoche la tête. Je suis crevé, j'ai besoin de dormir, de réfléchir. De digérer surtout. Digérer que tout a changé, que rien ne sera jamais plus comme avant.
Je me lève, après avoir essuyé mes mains moites sur mon pantalon noir et repousse la chaise sous la table.—Je vais rentrer chez moi, déclaré-je. J'ai besoin de repos, je pense.
—Dam...
Ses iris voilés me fixent et j'attends qu'elle continue.
—Tu n'as plus de chez toi...
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Un jour trop tard
RomanceLa Navy Seal, c'est la seule constante de ma vie, la raison qui me donne envie de me lever chaque matin, de me battre, de vivre, de partir. À terre, je n'ai aucune attache, pas depuis que mon frère s'est envoyé en l'air avec ma copine, sous mon toi...