Tome 2-Ch 18- Elisa

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Quelle ne fut pas ma surprise, lorsque nous nous sommes arrêtés sur le parking du restaurant italien dans lequel nous étions déjà venus, il y a un an ? Damien coupe le moteur de la petite voiture de sa mère, et détache sa ceinture en même temps que je me sépare de la mienne.
Nos regards se croisent, puis nous détournons la tête, chacun, avant de rire.

—On dirait deux ados.

J'acquiesce, parce qu'il a raison. Mais la situation est étrange, et finalement, nous aurions dû peut-être rester chez moi, pour être à notre aise.

—Tu te rappelles de cet endroit ? demande-t-il après que nous soyons restés silencieux durant le trajet.

—Bien sûr que je m'en souviens, réponds-je.
J'ai envie de lui dire que je me souviens de chaque chose le concernant, de chaque instant passé ensemble, que je me rappelle encore des paroles qu'il m'avait sorties le premier jour de notre rencontre, sur le devant de l'église, et de tout le reste, mais l'idée de l'effrayer me fait taire et j'ouvre la portière.

—On y va ? J'ai faim !

Damien rit et sort à son tour, avant de prendre le maxi-cosy sur la banquette arrière.

À table, l'ambiance est agréable. Eden dort sagement – ce qui m'arrange assez bien, et Damien m'explique qu'il va aller voir son frère demain. Au temps, à l'évocation de cette idée, j'ai eu peur, au temps j'ai été soulagée quand il m'a dit que Connor l'accompagnait. Pas que je n'ai pas confiance en Dam, mais Connor a les épaules assez larges s'il doit contenir son ami. Ensuite, il me demande si je ne sais pas qui a racheté son loft, dans l'espoir de le récupérer. Sauf que non, je n'ai jamais su, mis à part que son chez-lui a été mis en agence et que donc, je n'ai eu rien avoir là-dedans. Quant à moi, je lui parle de mon boulot, puis de l'accouchement, des premiers mois d'Eden. Mon récit l'émeut, je le vois à l'étincelle qui brille dans ses yeux lorsque je narre les détails qui me semblent importants. J'essaie de ne pas trop le reluquer, même si c'est compliqué. Sa chemise noire, assortie à ses cheveux qui repoussent doucement, met divinement bien ses yeux en valeur. Je pourrais me noyer dedans... Ou pire...

À la fin du repas, je me sens beaucoup plus sereine qu'à notre arrivée. Ça s'est bien passé.

—Une balade avant de rentrer, ça te dit ?

Mon sourire s'agrandit, mon cœur bondit. Comment pourrais-je refuser quelque-chose à cet homme ? Je n'ai pas envie que cette soirée se termine.

Dans la voiture, l'atmosphère se fait plus silencieuse entre nous, alors que Mike Brant chante faiblement, en bruit de fond. Aucun de nous parle, mais le silence n'est en rien pesant. Il nous permet de ne pas commettre de fautes, de ne pas dire ce que l'on regretterait ensuite. Le regard fixé à la vitre, j'observe les immeubles de la ville s'éloigner, avant que nous entrions sur l'autoroute.

—Tu nous amènes où ? demandé-je doucement.

—Tu sais que nous ne sommes pas loin des Hamptons ?

—Je le sais, oui, réponds-je en souriant. Et tu sais que je vis ici depuis toujours ?

—Je le sais aussi, oui.

—Deux heures de route, quand-même.

—Ce n'est que deux heures... Tu pourras dormir pendant le trajet de retour si tu es K-O. Mais le calme des Hamptons me tente bien, pas toi ?

Je l'observe, lui et les ombres que l'obscurité dessinent sur son visage. Elles le rendent encore plus beau, plus ténébreux aussi. Et j'aime le fait qu'il ne se retourne pas vers moi pour me laisser le regarder à ma guise.

—Si, ça me tente aussi.

Si je n'avais pas peur de sa réaction, je lui dirais de couper le moteur, et je grimperais sur ses genoux, pour l'embrasser, encore et encore. Je tiendrais son visage entre mes mains et je lui susurrais tous les mots que je meurs d'envie de lui dire depuis son retour. Parce que c'est ça aussi, qui est dur avec lui : respecter son espace personnel, pour ne pas le faire fuir. Ne pas mettre la charrue avant les bœufs est une chose difficile à tenir, en sa présence.

La lune à elle seule, illumine les plages, derrière les maisons. Plus on s'enfonce à travers les rues, et plus il fait sombre. Le tableau de bord de la voiture m'indique qu'il est déjà vingt-trois heures passées. Damien roule lentement, tandis qu'Eden, à l'arrière, se réveille.

—On va se garer, tu veux qu'on aille dans un pub pour le nourrir ?

—Non, on peut rester dans la voiture, ça me va.
Il hoche la tête, et le sérieux de son visage me dit qu'il est en train de réfléchir. Est-ce qu'il veut qu'on parle de choses plus sérieuses que nos sujets légers évoqués lors de notre dîner ? Où pense-t-il simplement à l'endroit où nous pouvons nous poser, sans déranger personne ? Je ne sais pas, mais après tout, avec Damien, on peut s'attendre à tout. Il s'arrête au fond d'une rue où le sable remplace le béton et les phares de la voiture éclairent la plage. C'est magnifique. Lorsqu'il coupe le moteur, Eden hurle à pleins poumons. Je sors rapidement de la voiture, rabaisse le siège avant de grimper sur la banquette arrière. Eden s'agite dans son maxi-cosy, et je le détache, tant bien que mal, en abaissant un côté de ma blouse. Mon fils attrape mon mamelon et tête goulûment, fermant ses petits yeux.

Damien me contemple bouche bée, et je réalise enfin que je viens de lui montrer un de mes seins. Je n'avais pas vu qu'il s'était retourné, pour me regarder. Je sens mes joues chauffer.

—Pardon. Je n'ai pas réfléchi et...
Son sourire en coin m'achève et je finis par glousser.

—Non, mais il n'y a pas de mal, rigole Damien. Ce bébé a beaucoup de chance.
Un rire m'échappe et bientôt, il m'imite. Ses joues ont une jolie teinte de rouge, les miennes doivent être semblables.

—C'est bien que tu l'allaites, ajoute Damien.
—Ah bon ? Je t'avoue qu'au début j'ai hésité, puis je me suis dit, je fais la tétée de bienvenue et on verra comment ça se passe.

—Et ça se passe bien, dit-il en montrant Eden du doigt. Ce playboy a l'air de bien s'en sortir, c'est cool.
J'acquiesce, puis grimace quand il fronce les sourcils de manière soucieuse.
—Dam, commencé-je. Tu sais qu'on va devoir aborder les sujets qui fâchent.
—Il n'y en a pas, Elisa.
Il se renfrogne. Génial.

—Bien sûr que si, grogné-je. Je veux que tu me parles !
—T'es gonflante d'insister ! Je ne comprends pas pourquoi tu le fais d'ailleurs. J'ai été otage, point. Il n'y a rien à ajouter.

—Ils t'ont fait quoi ?

—Rien.
—Damien...
—Mais qu'est-ce que tu attends de moi, au fait ? Que je te dise à quel point c'était dur ? Que j'ai été l'homme le plus malheureux du monde ? Et bien non, je ne te donnerais pas cette satisfaction !
Et il sort, en claquant la portière.
Je ferme les paupières et jure intérieurement. Quelle conne ! Tout se passait bien pour une fois, et moi et cette curiosité malsaine avons tout gâché. Combien de fois encore allons-nous nous prendre la tête ? Je voudrais qu'il me raconte chaque détail, qu'il se livre à moi, et au contraire, il se referme comme une huître dès que j'essaie d'aborder le sujet.

Un jour trop tardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant