Tome 2-Ch 11-Damien

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Lorsque j'entendais mes collègues dirent que leur enfant était la plus belle chose au monde qui leur était arrivé, je levais les yeux au ciel et me foutais de leur gueule. Parce que ça me paraissait pathétiquement exagéré.
Lorsque je les voyais s'extasier devant les photos qu'ils trimballaient en mission, je me marrais en silence, ne comprenant pas la peine qu'ils ressentaient en s'absentant loin des cris, des pleurs, des bobos à soigner.

Ma vie, c'était l'armée. Mon métier avait la place numéro un dans mon cœur, du moins, avant que je ne rencontre Elisa.
Qui aurait cru me voir un jour, appuyé contre les barreaux d'un berceau, à contempler un bébé qui dort ? Moi pas, dans tous les cas.
Pourtant, c'est bien ce que je suis en train de faire depuis maintenant une dizaine de minutes. Je n'arrive pas à réaliser que ce bébé est le mien. Ma mère s'en est occupé toute la journée, même si je gardais un œil sur ce petit être de soixante-dix centimètres. Je ne sais pas comment faire avec lui, encore moins quand il hurle à plein poumons. Mais j'ai espoir qu'un jour, lui et moi tissons un lien.
Du bout des doigts, je caresse sa petite joue potelée et de l'autre main, j'essuie une larme. Comment ai-je pu rater le début de sa vie ? Je n'étais pas là... Ni pour la grossesse d'Elisa, ni pour la naissance. Pour rien en fait. Et je débarque dans sa vie, comme ça. Est-ce qu'il le ressent, que je suis son père ? Est-ce que ces trois premiers mois sans moi vont nous séparer plus tard ?
Je ne sais pas, je n'espère pas. Mais il faut que je parle à sa mère, je dois lui dire que j'essaierai, que je veux voir Eden le plus possible. Mais acceptera-t-elle alors que je suis incertain de me remettre en couple ? Puis, la culpabilité remonte en moi. De ma faute, un père ne connaîtra jamais le bonheur de voir son enfant naître, grandir, vieillir. De ma putain de faute, seulement...
Le portable de ma mère vibre sur la commode derrière moi, me sortant de ma léthargie, et je le saisis quand je vois le prénom d'Elisa s'afficher.

« Je suis devant la porte ».
Je soupire, prends mon courage à deux mains et vais lui ouvrir.


—On a une sonnette, tu sais ?

Chargée de son sac et de trois gobelets, Elisa hausse un sourcil et me renvoie un sourire magnifique. Je recule pour la laisser entrer et ferme les paupières quand elle passe à côté de moi. Son parfum m'enivre, me rappelle ce que je voudrais omettre, pour l'oublier.

—Je t'ai pris un café, murmure-t-elle. Toujours noir ?

Je me retourne vers elle, hoche la tête, le souffle coupé. Sur peu de jours, j'ai l'impression qu'elle a encore changé. Elle me semble plus forte, plus combattive et plus souriante aussi. Elle se penche au-dessus du berceau et sourit quand elle voit Eden dormir à poings fermés.

—C'est gentil, merci. Ma mère est partie chez la voisine, euh... Je ne sais plus pourquoi.

Son sourire s'agrandit quand elle acquiesce. Alors, je m'empresse d'ajouter :

— Je peux te parler ? Dehors ?

—Oui, d'accord, répond-elle en lissant sa robe droite.

Dehors, elle semble plus nerveuse qu'il y a quelques minutes. Nous nous installons autour de la table de jardin, pour ne pas être trop loin du bébé, au cas où, et je m'allume une clope.

—Tu voulais me parler de quoi ?

—Du bébé... De notre fils, reprends-je.
Ses yeux brillent et je m'en veux légèrement de la teneur de ma discussion. Merde, elle va encore pleurer de ma faute et je ne pourrais que m'en prendre à moi-même.
—Je t'écoute.

—Elisa... Je veux que tu m'écoutes, sans m'interrompre, ok ?

—Oui, oui, ok.
Elle s'impatiente, et ça me fiche la pression, mais comment pourrais-je lui en vouloir ? J'inspire encore une latte sur ma cigarette et recrache la fumée dans les airs.

—Toi et moi... Bref, je t'aime. Je t'ai toujours aimée, mais pour l'instant, je ne peux pas me remettre avec toi, pour des raisons qui m'appartiennent. Je sais que tu dois me haïr de te dire ça, mais la vie en est ainsi... Et si... Si tu tiens à moi, respectes ceci, même si c'est dur.
Je perçois sa poitrine se soulever en même temps qu'elle retient son souffle. Je baisse les yeux sur mes mains, pour qu'elle ne voie pas que je la mate, et profite de son silence pour continuer :

—Ensuite, concernant Eden... J'ai essayé. Je t'avoue qu'il m'effraie un peu lorsqu'il pleure et qu'heureusement que ma mère était là pour s'en occuper, mais je veux continuer à le voir.

—D'accord.

—D'accord ?

—Ben oui. Que veux-tu que je dise, Damien ? Je ne peux pas t'obliger à être avec moi.

J'opine du chef en plissant les yeux, cherchant un quelconque signe de tristesse en elle. Pourtant, elle me semble sincère et je suis touché qu'elle comprenne.

—Ça ne veut pas dire qu'on ne se verra pas...

—Forcément, répond-elle en baissant les yeux. On se verra quand je viendrai déposer Eden.

Mon cœur se serre, parce que ce n'est pas exactement ce à quoi je pensais, mais je ne peux pas...

—Ok, soufflé-je, on fait comme ça.

—On fait comme ça, répète-t-elle.
Son sourire est forcé, mais je sais qu'elle prend sur elle pour ne pas pleurer encore une fois. Je me lève de ma chaise, contourne la table et lui tends une main qu'elle regarde d'un air septique.

—Viens par ici, maintenant.
Ses doigts glissent dans ma paume lorsqu'elle se lève et je l'attire contre moi. Elle est tendue, menue dans mes bras, mais j'ai besoin de la serrer contre moi pour me faire pardonner de ce que je lui fais endurer.

—Je suis désolé que rien ne se passe comme tu l'avais imaginé.

Elle rit d'un ton las, puis me repousse.

—Ça doit être mon karma pourri, ça. Je vais y aller, si ça ne te dérange pas.

Je déglutis, mais ne la retiens pas. Qui suis-je pour le faire ? Je dois lui laisser le temps de s'acclimater à tout ça, sans espérer qu'elle ne souffre pas. Elisa doit faire le deuil de celui que j'étais et trouver un homme qui pourra la rendre heureuse. Et ce, même si la jalousie me rongera, et me bousillera, mais si elle le fait, je lui en serais reconnaissant.

Seul. Je suis seul, comme depuis douze mois. Je me retourne pour la millième fois dans mes draps, le corps en sueur. Je ressasse cette discussion, regrette de lui avoir parlé, avant de me convaincre que j'ai bien fait. Elle sera mieux sans moi. Il faut que je m'enfonce ça dans le crâne. Que ferait-elle d'un homme aussi instable que moi, qui ne se reconnaît même pas quand les crises d'angoisses surviennent ?
Si elle était là, je l'aurais prise dans mes bras, contre mon torse et je l'aurais embrassée à en perdre haleine. Je l'aurais attirée sur mon corps et je me serais enfoncé en elle, pour la retrouver.
Mais je lui ai dit qu'il n'y aurait pas de nous deux « pour l'instant ».

Pour l'instant... Mais quand, alors ?

Ce qui me paraissait être une gêne au départ, me semble traîner en longueur... Une demande de temps qui s'allonge, jusqu'à je ne sais pas quand, exactement.
Elle me manque, pourtant. J'ai tellement voulu la revoir et maintenant que je suis là, près d'elle, je n'y arrive pas. C'est quoi mon putain de problème ?

Je prends mon portable sur la table de nuit, plisse les yeux, aveuglé par la lumière que diffuse l'écran.
Moi : Je sais qu'il est tard mais je voulais savoir si tu allais bien ?

J'envoie avant de me mettre une claque mentale. Quel message débile ! Forcément qu'elle ne va pas bien.

Elisa : Je vais bien. Et toi ?

Putain, elle a répondu. Elle dit qu'elle va bien... Mensonge. Et moi, est-ce que je vais bien ? Non. Mais je ne compte pas lui dire, ce serait méchant de ma part de la tracasser avec mes problèmes sans queue ni tête.

Moi : Ça va... bonne nuit.

Elisa : Si... Enfin, je suis là, si tu as besoin de parler. Dors bien...

Je relis la conversation un nombre incalculable de fois, même si elle est banale. J'ai besoin d'elle, oh oui que j'ai besoin d'elle, bien plus que je ne veux bien l'admettre, et bien plus encore qu'elle ne le croit. 

Un jour trop tardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant