Quoi qu'en pensent les autres

CHAPITRE 11 : JE L'ADORE (5)

La détresse devait percer dans sa voix, car il n'eut pas besoin de dire grand-chose avant que Lucas ne comprenne aussitôt son problème. La voix du jeune latino grésilla dans le portable de Morgan :

- Qu'est-ce qui t'as empêché de le faire ?

- De quoi ? répondit le jeune athlète à mi-voix.

- L'inviter à venir avec toi au bal, comme tu en mourrais d'envie.

Si Morgan n'avait pas été assis, il aurait sans doute senti ses jambes céder sous lui. Son front se couvrit de sueur, il avait chaud et avait mal au cœur, dans les deux sens du terme.

- Je, je sais pas..., murmura-t-il.

- Tu mens, répondit Lucas d'un ton impassible.

Il ménagea un petit temps de pause puis sa voix se fit plus autoritaire :

- Gætan est gay et célibataire. A ce que tu dis, vous vous êtes beaucoup rapprochés ces derniers temps – en d'autres termes il y avait peu de chance qu'il refuse ta demande. Ce n'est donc pas cela qui t'a freiné. Oseras-tu t'avouer à toi-même la véritable raison ?

Morgan ne répondit pas, le souffle court.

- Tu as peur Morgan, reprit Lucas d'une voix dure, peur de ce que vont penser les autres. Tu n'oses l'avouer, mais tu es terrorisé. Pourquoi ? Parce que si Gætan avait dit oui, tu te serais retrouvé devant un choix des plus difficile à faire - si ce n'est impossible : ou bien tu te dégonfles à la dernière minute et tu abandonnes Gætan, au risque de le perdre à jamais ; ou bien tu t'exposes aux regards des gens en paraissant à son bras au bal. Et là, qu'adviendra-t-il ? Tu l'ignores, et c'est ça qui te fais peur. Ai-je tort ?

- Non, avoua Morgan en retenant ses larmes.

- C'est bien que tu en aies conscience. Dans ce cas, écoute ce que je vais te dire : faire son coming-out, personne n'a dit que c'était facile. Il est nécessaire de se sentir prêt pour franchir ce pas. Mais Gætan ne constitue pas une raison valable ? Par respect pour lui et son courage, si tu désires vraiment qu'il y ait quelque chose entre vous, tu n'as pas le choix. Et si vous êtes réellement proches et s'il partage tes sentiments, tu n'as pas idée du tourment dans lequel tu le plonges. Et s'il se pose des questions alors qu'il ignore s'il lui est permis d'avoir le moindre espoir ? Si je t'ai reconnu l'autre jour, c'est parce que j'ai l'habitude de fréquenter des gays, mais si cela peut te rassurer tu n'en as pas du tout l'apparence. Autrement dit, lui n'a probablement aucun moyen de s'en assurer. S'il est autant intéressé que toi, il n'attend plus que tu lui fasses cet aveu. Et en ce qui concerne tes proches, tu verras qui ne s'intéressent à toi que pour ton image et qui sont réellement tes amis, ceux qui t'apprécient pour ta personne et pour qui le fait que tu sois homo ou hétéro ne changera rien. Enfin, pour ce qui est de tous les autres, tu as le choix entre les laisser dominer qui tu es ou les obliger à t'accepter tel que tu veux être toi-même, en assumant pleinement ta différence, en marchant dignement aux cotés de Gætan.

Un long silence accueillit sa tirade. La dureté de ses propos avait heurté de plein fouet Morgan, au plus profond de lui - d'autant plus que tout ce qu'il avait dit était vrai.

Morgan refusait de le voir, mais il avait réellement peur, comme jamais auparavant. Trop de questions se bousculaient dans son esprit, trop de doute et de regrets.

Puis soudain, l'image de Gætan lui apparut clairement. Gætan... Gætan était tout, il était son présent et son futur, il était ses désirs, il était son bonheur et sa raison. Gætan était tout, et son monde tournait déjà autour de lui. Et si Gætan était tout... Alors le reste importait peu.

Il se ressaisit :

- Merci, dit-il simplement tout en se redressant.

- De rien. Nous nous reverrons bientôt normalement. Du moins je l'espère. Puisses-tu trouver la force et le courage, et puisses cela te mener au bonheur.

Et il raccrocha. Morgan resta un instant immobile, puis il rangea son portable et reprit son chemin, animé d'une nouvelle volonté, plus décidé que jamais.

Bientôt, les choses allaient changer, qu'elles qu'en soient les conséquences. Une seule chose était sure : Morgan ne laisserait plus rien ni personne ne se mettre en travers de son chemin. Il avait attendu trop longtemps, douté trop de fois. Plus rien. Ni personne.