L'ombre

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Louisa

J'abandonne mon vélo dans notre vieil abri de jardin branlant. Maman m'avait promis de jeter toutes les caisses qui s'y entassent, mais rien ne bouge depuis des semaines. Je trébuche en sortant. L'arme du crime : un vieux grille-pain. Oublié sur le sol, il ne semble attendre que ça ; que quelqu'un se prennent les pieds dedans ! C'est sur moi qu'il a jeté son dévolu ! Il faut dire qu'il n'y a que très peu de gens qui risqueraient de s'aventurer dans cette dangereuse zone de stockage.

Je me dépêche de sortir, je n'ai aucune envie de me ramasser quelque chose sur la tête. J'en aurai encore besoin à l'avenir. Dehors, le ciel s'est assombri, mais le soleil est toujours là, je peux le voir décliner, derrière les nuages. La fin d'une belle journée ensoleillée comme il n'y en a que très peu à Silver Hollow.

- Maman ? j'appelle en poussant la porte d'entrée.

Je laisse glisser mon sac à dos sur le sol et passe dans le salon. Personne.

- Maman ? Tu es là ?

Pas de réponse. Je continue mon chemin jusqu'à la cuisine. Il fait sombre tout à coup, j'allume toutes les lumières sur mon passage. Au diable la facture d'électricité ! Cette maison isolée me fait beaucoup trop peur pour que j'y reste seule dans la semi-obscurité.

Sur la table de la cuisine, je trouve une assiette de cookies, juste à côté, un morceau de papier. Je croque dans un biscuit avant de m'en emparer.

Louisa,

J'espère que ta rentrée s'est bien passée... Je suis désolée ma chouette mais je suis forcée de travailler ce soir, Georgie est malade et il n'y a que moi pour la remplacer. Je t'ai préparé des cookies ce matin (je suis certaine que tu les as déjà goûtés), je te demande juste de ne pas en manger plus de deux. N'hésite pas à passer chez ta tante si tu ne veux pas passer la soirée seule.

Je t'embrasse,

Maman

Il faut qu'elle travaille aujourd'hui. Encore ! J'aurais dû m'en douter. Elle n'arrête pas de faire des heures supplémentaires. Je sais que ça ne la réjouit pas des masses de laisser sa fille de treize ans seule, mais elle ne fait quand même rien pour que ça ne se reproduise plus ! Du genre faire savoir à son délicieux patron qu'elle a une fille qui a besoin de sa mère après l'école.

Je ne dis plus rien maintenant... La dernière fois que j'avais eu le malheur de lui demander si elle était obligée de travailler autant, elle m'avait répondu que je n'avais qu'à prier mon cher géniteur de verser sa pension alimentaire tous les mois. Que répondre à ça ? Rien ! Le sujet du travail était peu à peu devenu notre tabou. Moins on ne parle, mieux on se porte ! Je n'arrive pas à lui en vouloir, pourtant son absence me pèse tellement. Après tout ce que nous avons traversé toutes les deux, j'ai l'impression qu'elle me fuit. Je lis la peur dans ses yeux tous les matins. Ce qu'elle craint, je l'ai accepté depuis longtemps déjà ; c'est la différence entre elle et moi.

J'attrape un deuxième cookie et monte dans ma chambre. Je range mes cours du jour sur l'étagère qui leur est réservée et prépare déjà mes affaires pour le lendemain. Sur mon bureau m'attend mon dernier dessin. Représentant encore et toujours la forêt, ma fascination de toujours, aussi loin que je me souvienne. Si j'ouvre mon tiroir, il y en aura des dizaines d'autres semblables. Je n'en peux rien à chaque fois que je m'installe à cette table, ce sont les images de cet endroit mystérieux où tout est possible qui me viennent à l'esprit. J'observe mon croquis, il est encore loin d'être terminé. Les arbres ne sont que des ébauches et la silhouette que j'ai entrepris de dessiner est encore très fantomatique. Je n'essaye même pas de le continuer, je sais qu'aujourd'hui, n'est pas un jour d'inspiration.

So Darkness We BecameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant