Ma réalité ?

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Annie

Le silence et l'obscurité, mes seuls compagnons depuis mon arrivée à la clinique de Bellevue. Je ne suis pas folle, juste malheureuse. Ce n'est pas la même chose. Je dois retrouver Louisa, c'est la seule chose qui compte désormais. Mon ange, ma petite fille, où te caches-tu ?

Je sors de mon lit, avance jusqu'à la fenêtre. Il faut que je sorte d'ici, à tout prix. Ma première tentative a été un échec, mais cette fois je vais réussir. J'ouvre la fenêtre. Dehors, le gel règne en maître. L'hiver est déjà presqu'arrivé. Le temps passe si vite. Je n'ai pas une minute à perdre ! J'ouvre ma garde-robe, une dizaine de chemises de nuit y sont pliées, aucun vêtement à moi. Cela faits sans doute partie du processus de déshumanisation mis en place à la minute où j'ai posé un pied dans cet endroit.

J'arrache la vieille couverture en laine de mon lit et m'enroule dedans, ça me servira de manteau. Je glisse mes pieds dans mes pantoufles, mentalement je les préviens ; ils vont avoir froid. J'ouvre le tiroir de ma table de nuit, une bonne centaine de pilules colorées s'y cachent. Les voir polluer un autre environnement que mon corps me rend fier. Cela fait deux semaines que je n'ai plus pris ces saletés et je ne m'en porte pas plus mal !

Au fond du tiroir, je récupère la carte magnétique que j'ai volée à l'infirmière en chef ce matin. J'ai tout prévu, cette fois, mon évasion sera parfaite. Je sors dans le couloir désert et silencieux. Cette première partie sera la plus difficile. Il me faut passer devant le bureau de l'infirmière de garde, mais en rampant je pense qu'il y a moyen que je ne me fasse pas repérer.

Avec prudence, j'avance, ma couverture traînant derrière moi. J'arrive à hauteur de la baie vitrée donnant sur le quartier général du personnel soignant. Deux voix se font entendre à l'intérieur, la télévision sans doute. Je m'accroupis sur le carrelage et continue ma progression, tête baissée. Plus que quelques mètres et je me trouverai dans la deuxième partie du couloir, alors, je pourrai courir jusqu'aux portes menant aux escaliers, d'où la nécessité du badge volé.

J'y suis enfin, je m'apprête à piquer un sprint, mais un petit bruit attire mon attention à l'autre bout du couloir. Je fais volte face. Lee Andrews se tient à une vingtaine de mètres derrière moi, peignoir ouvert, cheveux en bataille. C'est la femme la plus folle de cette clinique ; quatre évasions à son actif, dix-huit tentatives de suicide et on ne compte plus le nombre de fois où elle a mordu une infirmière. Bref, la personne sur laquelle je ne devais pas tomber ce soir. Et ce qui doit arriver arrive, elle court vers moi en hurlant. Lorsqu'elle se jette sur moi, j'ai le réflexe de la repousser brutalement. Je ne sais pas comment j'ai réussi ça, mais ça marche, elle s'étale sur le sol. Elle beugle de plus belle.

Du bruit dans le bureau des infirmières, il faut que je me cache quelque part. Je n'ai pas le temps d'atteindre la porte. Pas le choix, je rentre dans la première chambre devant moi. J'appuie de tout mon poids contre la porte pour la maintenir fermée car de l'autre côté, Lee abat avec violence ses poings contre la paroi, prête à la défoncer. Dans le lit devant moi, une vieille femme au visage creusé m'observe et elle se met à rire de manière frénétique. J'essaye de lui faire signe de se taire mais elle continue. Il faut croire que pour une folle, cette situation doit plutôt être amusante. Pour moi, c'est une toute autre histoire.

De l'autre côté, les coups cessent. Lee a été maîtrisée par l'infirmier de garde. Des pas s'éloignent, j'entrouvre la porte. Lee est emmenée dans la salle d'isolement, au bout du couloir. Le temps pour moi de quitter cet endroit de malheur qui m'a volé ma vie. Je cours vers la porte, scanne la carte magnétique. Elle s'ouvre, c'est gagné. Je me précipite dans la cage d'escalier et descend les quatre étages. Au rez-de-chaussée, je bifurque dans le couloir de service, je rentre dans le vestiaire. Je troque ma couverture contre une vraie veste. C'est on jour de chance, dans la poche il y a des clefs de voiture ; je n'aurai même pas besoin de chercher plus longtemps. Je sors par l'entrée du personnel, je me retrouve à l'arrière du bâtiment, sur le parking. Il n'y a pas foule à cette heure, quatre voitures tout au plus. Je cherche le bouton de déverrouillage sur la clef que je viens de dérober, puis je me rends compte qu'il n'y en a pas. Dans le noir je ne parviens pas à voir le logo de la marque sur le caoutchouc noir. Je cherche donc une vieille voiture. Devant moi, un vieux pick-up chevrolet rouge. C'est mon homme, c'est certain.

La portière se déverrouille et je m'installe derrière le volant. C'est étrange comme le destin nous joue parfois des tours. Cela fait des années que je rêve de m'acheter une voiture comme celle-ci et voilà que je me retrouve à m'évader d'un asile dans ce même véhicule.

Je n'attends plus, je démarre. Une fois sur la route, j'appuie sur l'accélérateur, tout ce que je souhaite c'est mettre le plus de distance possible entre moi et cet hôpital. Je ne veux plus jamais revoir ces chambres crasseuses et sombres cachées derrière cette façade faussement avenante. Je pousse le chauffage à fond, allume l'autoradio. Après des semaines partagées entre cris et silence, j'ai une furieuse envie de réentendre le bruit de la vie à mes oreilles.

Les voix mêlées de June Carter et Johnny Cash sortent des vieux haut-parleurs grinçants. Ils chantent Jackson et parviennent à remettre un sourire sur mon visage sans doute affreusement laid. Quelle chanson parfaite pour une fuite improvisée dans un vieux pick-up Ford ! Je suis fatiguée, mon corps n'a presque plus aucune force, mais je suis heureuse de reprendre ma vie, aussi pourrie et triste soit-elle, elle ne peut pas être pire que la vie entre les murs d'un hôpital psychiatrique.

J'arrive à un carrefour, Où je vais ? La question ne se pose même pas. Je tourne à droite, direction Silver Hollow. Je continue de rouler pour arriver à un nouveau carrefour. Je prends la direction de ma ville. Plus tard un nouveau carrefour, en tout point semblable, je suis piégée dans un cercle infernal, jamais je ne rentrerai...

J'ouvre les yeux, ma chambre austère m'accueille. Je soupire, jamais je ne sortirai d'ici. Je sors de mon lit et m'approche de la fenêtre, l'aube est en train de se lever et des dizaines de corbeaux volent au-dessus de la forêt. Dans la vallée, le lac de Dreary dévoile ses eaux sombres, aussi sombres que mes tourments

So Darkness We BecameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant