Le monstre

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Rafe

Je coupe le moteur de la voiture. La voix de Dolly Parton s'arrête brusquement de chanter. Je prends une longue inspiration avant de descendre. J'avance vers cette magnifique maison moderne sur laquelle je lorgne depuis des années. Je frappe à la porte. Des rires me parviennent, puis des pas précipités. C'est Thomas Warren qui ouvre, Dean Schnap se tient un peu plus loin dans le couloir. En me voyant, leurs sourires s'effacent. Je suis l'oiseau de mauvais augure de la ville, je m'y suis habituée avec le temps.

- Rose, crie-t-il ! Pour toi.

Les deux garçons disparaissent dans l'escalier et Rose me rejoint. Chignon à moitié défait, teint crayeux et tenue décontractée. Elle m'adresse un pâle sourire.

- Shérif... Je peux faire quelque chose pour vous ? demande-t-elle.

- Rose... Comment vas-tu ? j'articule.

Elle me répond d'un haussement d'épaules et moi, je hoche la tête. La situation est presque embarrassante. Cela fait maintenant deux semaines que j'entends parler à chaque coin de rue de la soi-disant folie de Rose Warren qui est devenue la coupable idéale pour toute la ville. Coupable de quoi ? Je ne suis même pas certaine que tous ces gens le savent. J'ai même eu la visite de plusieurs habitants qui sont venus témoigner de ses agissements bizarres ; son temps passé à la bibliothèque ou encore ses fréquentations ; une ami irlandais et une meilleure amie gouine. C'est sûr que je vais l'arrêter pour ça !

- Je ne suis pas venue pour t'embêter, je...

- Vous ne m'embêtez pas !

Elle tente un sourire qui sonne faux.

- J'ai été voir Annie cette après-midi, j'annonce.

La main de Rose se crispe sur la poignée de la porte.

- Comment va-t-elle ?

- Elle va mieux... Enfin je crois ! Elle est mieux là-bas, loin de notre ville de fous.

- À qui le dites-vous !

Cela faisait des jours que je voulais rendre visite à Annie mais à chaque fois que j'étais presque décidée à y aller, je trouvais une excuse pour me dérober. Je ne sais pas vraiment ce que je craignais en me retrouvant face à elle... Sa folle désespérance sans doute. Sauf que je me trompais ; c'est ma faute si elle est enfermée à Bellevue et ce n'est pas en la laissant seule là-bas que son état va s'améliorer. Je viens de mentir à Rose. Non, elle ne va pas si bien que ça. C'est une mère qui a perdu sa raison de vivre, sa fille, pour qui elle se battait depuis des années. Enlevez-lui ça et elle s'effondre. C'est ce qu'elle est aujourd'hui, un tas de briques dont le ciment est en train de s'étioler.

- Elle m'a demandé de lui ramener un livre qui est resté chez elle. Apparemment, c'est le roman préféré de Louisa, mais je pense que le titre m'a un peu échappé, j'avoue contrite.

- Le jardin secret, complète Rose, un vrai sourire sur son visage.

- Oui c'est ça ! Elle veut que je lui apporte, mais je n'ai pas la clef de chez elle et je n'ai pas vraiment envie d'entrer par effraction.

- Je mets des chaussures et j'arrive !

Elle disparait dans le salon, me laisse plantée sur le perron. Une odeur de cookies flotte dans le couloir, et les rires de Dean et Thomas résonnent à l'étage. Une maison telle que je n'en ai jamais connue. Peut-être un jour...

- Harper, viens on va se promener ! lance-t-elle en frappant dans ses mains.

Elle réapparaît, emmitouflée dans sa parka, ses bottes en caoutchouc aux pieds. Son chien, Harper, un bouledogue anglais bien massif la suit. Elle lui accroche sa laisse et me rejoint dehors. Le chien vient renifler mes chaussures avant de tirer sa maîtresse en avant.

So Darkness We BecameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant