Au-delà des apparences

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Matt

Ma main agrippe fermement celle de Rose, elle court à travers la forêt poussée par une intuition je pense. Sa main droite tient une feuille de papier qu'elle brandit en avant. Je ne l'ai pas vue aussi enjouée depuis cette nuit de novembre. Elle accélère, je me déporte au dernier moment sur la gauche, évitant un tronc d'arbre qui me fait obstacle. Et, soudain, elle s'arrête, net.

Elle lâche ma main, tourne sur elle-même avant de sortir son téléphone de sa poche. Lorsque la lumière s'allume, je me rends compte que nous nous tenons à l'endroit exact où Louisa a disparu il y a maintenant deux mois. Les scellés du shérif sont au sol, à moitié déchirés ou couverts de boue. Je me rapproche de Rose, par-dessus son épaule, je détaille le dessin qu'elle tient comme un trésor.

Deux filles. Une silhouette sombre. Des arbres.

Je reste silencieux, je ne suis pas à l'aise. Je continue d'observer, le dessin puis l'endroit où je me trouve, me prêtant au jeu des sept différences grandeur nature. Je sens les doigts de Rose se serrer autour de mon bras, ses yeux se tournent vers moi, brillants.

- Louisa savait, murmure-t-elle ses lèvres se rapprochant de mon oreille. Elle savait ce qui allait se passer, elle a laissé ce dessin pour me guider je crois.

Elle le retourne, me dévoilant la dédicace laissée par sa cousine. La réalité m'échappe, je n'arrive pas à comprendre ce qu'il se passe. Il m'est arrivé bon nombre de choses étranges depuis quelque temps, et si j'ai du mal à les accepter, c'est parce qu'elles sont si effrayantes.

Rose avance et dépose le dessin sur le sol avant d'aller s'adosser contre un arbre, un peu plus loin. Je la rejoins, me tais encore pendant quelques minutes avant de l'interroger sur ce qu'on est en train de faire.

- On attend. On attend que quelqu'un vienne récupérer, me répond-elle en se cramponnant à mon bras.

- Mais qui ? j'insiste.

- Je ne sais pas, Matty ! Si tu veux t'en aller, va-t'en, je peux rester seule.

Sa voix trahit son envie profonde de ne pas, justement, rester seule dans la forêt. Je ricane et elle me fusille du regard.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- T'es sûre que tu pourrais rester seule ici ?

- Bien sûr que non ! s'exclame-t-elle en me poussant doucement sur le côté.

Je ris de plus belle en passant mon bras autour de ses épaules. Elle dépose sa tête dans le creux de mon cou et je dépose un baiser dans ses cheveux qui sentent le même parfum que lorsque nous étions enfants. Depuis cette fameuse nuit, notre relation est passée de l'amitié à l'amour sans que personne ne se doute de rien. Nous vénérons tous ces moments que nous passons ensemble, hors du temps, durant lesquels nous sommes seuls à pouvoir définir ce lien qui nous unit. Même Jenny ne suspecte rien, c'est dire ! Je pense même que je redoute le moment où la vérité éclatera au grand jour, où notre secret n'en sera plus un.

- J'ai parlé à Noah, chuchote Rose en jouant avec mon index.

- Non, tu n'as pas fait ça quand même !

- Mais non, pas à propos de nous, imbécile !

Je passe du stress au soulagement :

- À propos de quoi alors ?

- Il dit qu'on a été en contact avec l'enfer ou un autre monde. Une porte se serait ouverte et aurait déversé sur nous un flot de morts, il a parlé d'un vortex d'énergies ou je ne sais pas très bien quoi !

- Ça ne m'étonne pas de lui, c'est du O'Malley tout craché !

- C'est clair... Mais tu serais prêt à y croire ?

- Croire à quoi ?

- Je ne sais pas, à un autre monde ou...

Sa phrase reste en suspens, un petit bruit discret vient de résonner dans les sous-bois. Je ne réalise pas ce que c'est avant de sentir quelque chose de dur s'écraser sur le haut de mon crâne. De la grêle. Ça a échappé aux prévisions de notre monsieur météo local, il ne se trompe pourtant jamais !

- Rose, on ne peut pas rester ici, viens...

Aucune réaction, elle me tourne le dos, ne bouge pas. Je tends le bras pour attraper sa main, mais au dernier moment elle s'écarte. La grêle redouble d'intensité, frappant tout ce qui se met en travers de son passage, les branches, le sol, ma main.

- Rose, je répète.

Elle se retourne enfin, son visage est baigné de larmes, ses genoux s'entrechoquent.

- Oh mon Dieu, Matty ! Je crois que Louisa est morte.

Mon sang ne fait qu'un tour, c'est une hypothèse que nous avons toujours rejetée et voilà qu'elle la ressort. Mais ce n'est ni l'instant, ni le lieu. Je récupère, le dessin sur le sol et empoigne le bras de Rose. Je cours, les grêlons ne font que tomber de plus en plus vite, de plus en plus fort. La lisière de la forêt approche et j'accélère. Décidément, une fois qu'on met les pieds dans cette forêt c'est pour en ressortir en courant. Plus étrange encore, au moment même où nous laissons dernière nous les derniers arbres, la grêle s'arrête net. Je stoppe ma course, mon regard croise celui de Rose plein de tristesse. Elle se retourne, je l'imite, un clapotis bruyant résonne à l'intérieur même de la forêt et de ce côté, rien, le ciel est dégagé, la lune brille, tout est calme. Il est en train de grêler dans la forêt et pas ici. Dans le genre bizarre, vous ne trouverez pas mieux, je peux vous l'assurer.

Nous reprenons notre course jusqu'à la maison de Rose. Je grimpe en premier sur la corniche, et aide Rose à monter à son tour, nous rejoignons le balcon en bois pour rentrer dans sa chambre par la fenêtre entrouverte. Et là, surprise ! Qui nous attend, occupé à fouiner ? Dean et Thomas bien sûr. Rose est toujours en pleurs, mais ça ne l'empêche pas de réprimander son frère.

- Oh non, Thomas mais qu'est-ce que tu fous encore dans ma chambre ?!

Dean laisse tomber un livre et Thomas repose le carnet de notes de sa sœur sur son bureau. Les deux se regardent, les joues en feu avant de dire :

- Rien, on se demandait juste où tu étais passée.

Je descends la tirette de ma veste, plusieurs grêlons tombent sur le parquet, sous les yeux ébahis des deux jeunes garçons.

- Vous avez foutu quoi là ? s'étonne Thomas en s'agenouillant pour observer la fonte de cette bille glacée.

- Il grêle dans les bois, pas ici...

La bouche de Dean s'ouvre, ses yeux s'arrondissent, passant du sol à moi puis s'arrêtant sur Rose assise sur son lit.

- Louisa est morte, annonce-t-elle.

- Quoi ?! s'exclament en chœur Dean et Thomas.

- Tout prend sens maintenant. Elle était de nouveau malade, elle savait qu'elle allait être enlevée par la forêt parce que c'était la seule manière d'abréger ses souffrances. Fawcett a raison, derrière chaque évènement qui prend place dans notre forêt il y a une vérité. Louisa est morte, j'en suis certaine.

J'observe encore ce dessin, je le donne à Thomas, une larme coule le long de sa joue. En ce 15 novembre, il est 23h43 et tout est en train de basculer. Vers la vérité ? L'avenir nous le dira, ou peut-être pas.

So Darkness We BecameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant