Le regard des autres

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Rose

Depuis ce matin, j'ai l'impression de marcher dans des sables mouvants. Chaque pas que je fais m'enfonce un peu plus dans cette boue dégoûtante. Malgré tous mes efforts, je n'arrive pas à m'en dépatouiller. Et personne autour de moi ne semble avoir envie de me tendre une main pour m'aider à en sortir. C'est comme si j'étais coincée dans un de mes pires cauchemars.

Ça a commencé à huit heures tapantes avec mon altercation avec Luke Hart, la personne que je n'avais aucune envie de voir aujourd'hui. Mais comme le destin est un sadique, il aura fallu qu'il me le flanque dans les pattes, dès le matin. Il m'a traité de folle, sa cour a rigolé, j'ai passé mon chemin. J'ai fait semblant de rien mais au fond de moi, je me sentais comme une cible. Ensuite, il y a eu le regard de dizaines d'élèves dans le couloir, des élèves que je ne connais pas mais qui se permettent de me juger, de décider si je dis ou non la vérité. À leurs yeux, je suis une folle. Ces mêmes yeux qui m'ont transpercée d'un bon nombre de flèches, en quelques secondes, à peine j'avais posé un pied dans le hall.

Après cette traversée de mon propre champ bataille, j'ai gardé la tête haute. Je me suis rendue en classe de latin, sans Jenny et Noah qui n'ont pas choisi ce cours. Autant dire que je ne me suis jamais sentie aussi seule, déshabillée du regard par ces mêmes congénères qui d'ordinaire sont heureux de photocopier mes notes quand ils n'ont pas été assez attentifs. Mrs Watson a essayé de me montrer son soutien, mais la maladresse avec laquelle elle s'est exprimée n'a pas arrangé ma situation. Tout ça sous l'œil vipérin de Luke Hart, dont les remarques désobligeantes à mon égard n'ont cessé de fuser durant les deux heures de cours.

La suite de mon programme n'était guère réjouissant ; sport. En temps normal, j'y vais déjà avec les pieds de plomb, aujourd'hui, je n'y suis pas allée. De toute façon, Mr Lafontaine est tellement occupé à préparer ses stratégies pour les matchs de hockey qu'il ne remarque jamais les absences. Je me suis donc réfugiée à la bibliothèque. Le plus bel endroit de cette école, à l'abri des regards.

Je suis seule, mis à part notre vieille bibliothécaire, Mrs Keaton, qui ne cesse de me sourire. Je fais semblant de ne pas la voir, elle doit certainement elle aussi me prendre pour une folle elle aussi. Elle agite la main désormais. Je dois me tromper, elle veut sans doute juste être gentille. Je lui rends son sourire puis disparaît dans les rayonnages. Une fois bien cachée, je me laisse glisser le long d'une étagère. J'ai juste besoin de réfléchir.

Toute cette pression sur mes épaules... J'en viens moi aussi à douter de ce que j'ai vu hier soir. Je me repasse en boucle les images. Mes souvenirs sont pourtant clairs, jusqu'à ce que je perte connaissance bien entendu. Shérif Foley pense que je confonds mais je suis certaine que ce que je lui ai raconté est ce qu'il s'est passé. Cet homme cornu, ce n'était pas une illusion !

Je revois ces images dans ma tête et je m'aperçois que mes mains recommencent à trembler. J'essaye de garder la tête haute, mais je suis morte de trouille. Louisa a disparu. Je l'ai vu se faire avaler par les ténèbres. Et ce n'est pas une phrase poétique pour romancer ce que j'ai vécu, c'est la réalité, sans autre filtre que celui de mes yeux.

Et tout le monde est en train de chercher des hypothèses logiques pour expliquer sa disparition. Il parle de l'enlèvement de Louisa Beckett, l'alerte AMBER a été déclenchée. Sauf que sa disparition n'a rien de rationnel. Ce que j'ai vu dans les bois hier soir n'avait rien de rationnel. Mon esprit ne me joue pas de tours.

Je ramène mes genoux à moi, resserre mes bras autour d'eux. Ça ne calme pas les tremblements. J'ai l'impression que tout mon corps tremble. Je ne pense qu'à Louisa. Des tonnes de questions se déversent dans mon esprit.

So Darkness We BecameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant