L'étranger

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Rafe

Trois morons de New-York se pavanent dans ma ville et posent leurs fesses citadines sur ma chaise de bureau ! En me levant ce matin, je pressentais déjà que j'allais vivre une bonne journée de merde quand la machine à café m'a explosé à la figure. Mais là, trouver ces trois types en costume, dans mon bureau, occupés à fouiller dans mes propres dossiers, ça dépassait toutes mes espérances. Qu'est-ce que ces fédéraux ont eu besoin de venir fouiner à Silver Hollow ? Apparemment, c'est plutôt courant dans les affaires de disparitions de mineurs. Soit, qu'ils viennent m'aider, passe encore, mais qu'ils me prennent pour une demeurée incapable de faire son boulot, ça, je ne le digère pas. De toute façon, ces gens-là ne viennent pas pour aider, c'est bien connu, mais pour foutre la merde ! Surtout, ce Dave Redfield ! Non mais quel connard celui-là ! Il n'a probablement jamais sorti son nez de sa tour de verre new-yorkaise et maintenant qu'il est dehors avec des responsabilités autres que signer de la paperasse, il se sent pousser des ailes.

Il croit qu'il va résoudre cette affaire avant le week-end ! Laissez-moi rire ! Ce n'est pas moi qui le dis, c'est lui. J'ai essayé de lui faire comprendre que Silver Hollow n'était pas une ville comme les autres, qu'ici, les disparitions non-résolues c'était la routine. Il n'a rien voulu entendre et a mis ça sur le compte de mon incompétence. Charmant ! Même Rich et Eddie se sont battus becs et ongles pour prendre ma défense, ils sont mes adjoints, ils ont enquêté avec moi et savent bien que nous avons toujours fait tout ce qui était en notre pouvoir pour résoudre nos affaires. En parfait enfoiré, Redfield n'a rien voulu entendre !

J'ai espoir que ces trois bougres débarrassent le plancher avant la fin de la semaine ; soit chassés par les habitants, peu enclins à accueillir des étrangers, encore moins des citadins, ou alors bouffés par la forêt. Croisons les doigts...

Ça fait maintenant une heure que Redfield cuisine Rose, dans l'espoir d'obtenir plus d'informations sur cette nuit-là. J'ai eu l'autorisation de rester pour assister à l'interrogatoire mais je ne peux pas intervenir. J'en suis réduite à être assise dans un coin et à écouter.

Il a commencé à lui demander de parler de Louisa, des rapports qu'elle entretenait avec elle, des disputes qu'elles auraient pu avoir, des différences de milieu social qui séparaient leurs deux familles. Et Rose a répondu à chaque question d'un ton posé, presque naïvement en fait, sans se rendre compte de leur réelle portée. Pas besoin de préciser que j'ai déjà failli lui sauter à la gorge plusieurs fois... Ses questions ne me plaisent pas du tout ! Je pense qu'il oublie que Rose Warren est victime, et non coupable !

- Votre cousine, Louisa Beckett, n'a jamais eu la vie facile n'est-ce pas ?

Je ne vois de Rose que son dos et ses longs cheveux châtains, mais je peux tout à fait m'imaginer l'expression déconfite de son visage. Elle porte encore son sac à dos ainsi que sa veste, elle était à peine assise que les questions ont afflué.

- Que voulez vous dire par là ? demande-t-elle.

Il plonge son nez dans ses notes, les relit de sa voix âpre que je déteste déjà.

- Eh bien, ses parents se sont séparés très tôt, son père a été emprisonné pendant deux ans à la prison d'état de Warren, sa mère souffre de troubles mentaux, elles ont toujours vécu dans la pauvreté sans parler de...

- Je vous arrête, Mr Redfield, Louisa n'avait pas la vie facile, c'est vrai ! Mais sa mère et elle ont toujours été heureuses, malgré tout ! Alors je ne vois pas où vous voulez en venir !

Je commence à sentir l'énervement dans la voix de l'interrogée. Je suis d'ailleurs étonnée qu'elle ait su garder son sang-froid jusqu'ici.

- Croyez-vous que Louisa Beckett aurait pu vouloir fuguer ?

- Mais enfin bien sûr que non ! Rose s'exclame. Sa disparition n'a rien à voir avec une fugue.

Mes mains s'accrochent aux poignées de mon siège, la colère bouillonne en moi. Ne pas bouger, ne pas parler. Ça pourrait me coûter mon poste de shérif. Il me l'a dit et je le crois sur parole.

- Je reformule ma question ; avez-vous aidé Louisa Beckett à s'enfuir ?

- Non !

Dave Redfield jette un regard vers moi, je crois voir un sourire narquois apparaître sur son visage. Il croit qu'il avance alors qu'il tourne déjà en rond. Il est arrivé ici avec sa propre idée de la situation ; Louisa Beckett a fugué, Rose la couvre. Je sais que c'est totalement faux ! En attendant, il est en train de me faire perdre un temps fou !

- Mademoiselle Warren, reprend-il d'une voix plus incisive encore, je n'en ai pas encore la preuve, mais je sais que vous avez quelque chose à voir dans la disparition de Louisa Beckett. Vous l'avez soit aidée à disparaître, ou alors vous l'avait fait vous-même. Et après vous sortez votre histoire de monstre, pourquoi ?

Mais il ne s'est pas arrêté là ce cher agent Redfield. Il est encore allé plus loin dans ses absurdités !

- Vous mentez, Rose ! Je le sais, je le sens ! Votre histoire ne tiendra plus la route très longtemps. Un monstre... À votre âge, vous n'avez pas honte de sortir de telles bêtises ? Je vous préviens, si vous ne me dites pas la vérité, je vais la découvrir, d'une manière ou d'une autre. Je vais faire parler vos amis, votre famille, vos ennemis même et je vais finir par retrouver votre cousine, morte ou vivante.

Je me lève d'un bond !

- C'est assez, Agent Redfield !

Je n'attends pas son autorisation pour me rapprocher de Rose. J'attrape son bras :

- Viens, je lui glisse.

Elle ne demande qu'à se lever et me suivre jusqu'à la sortie, la délivrance. J'ouvre la porte de mon bureau, Rich et Eddie sont juste derrière, ils ont tout écouté. Ils me voient et reculent d'un pas, faisant comme si de rien n'était. Je me dirige vers la porte, ma main toujours refermée autour du bras de Rose. L'agent Redfield est sur mes talons.

- Mademoiselle Foley, vous n'avez pas l'autorité pour mettre fin à mon interrogatoire.

Mademoiselle ! Il a osé ! Je fais volte face pour mieux le foudroyer du regard. Je dois me retenir pour ne pas le frapper.

- N'oubliez pas que vous êtes ici dans ma ville et surtout dans mon bureau ! Vous n'avez pas à me dire ce que j'ai à faire ! Et pour vous, Mr Redfield, ce sera Shérif, certainement pas Mademoiselle.

Je traverse le hall et juste avant de passer la porte je lui lance ces dernières paroles :

- Si vous voulez réinterroger Rose, je vous conseille de le faire en présence d'un parent ou encore mieux, d'un avocat, d'autant plus si c'est pour l'accuser. Et j'oubliais, évitez également de débarquer encore n'importe où pour arrêter des gens. Je préfère vous prévenir, tout le monde n'est pas aussi conciliant que moi en ville. Je préfèrerais ne pas à avoir à vous retrouver une balle entre les deux yeux.

À l'autre bout de la pièce, l'agent Redfield est livide, Eddie et Rich, eux, pouffent dans leur barbe. Je me félicite intérieurement, je viens de gagner une première bataille contre lui. mais cela n'enlève rien à mon énervement.

Nous sortons toutes les deux. Je crois que je n'ai plus été aussi en colère depuis que Neale Hart m'avait mis la main aux fesses au bal de promo. Ce mauvais souvenir est en passe d'être détrôné par cet étranger, arrivé en ville depuis trois heures à peine. Un tour de force !

Je grimpe dans ma voiture, Rose me suit sans poser de questions. Redfield me regarde depuis l'entrée. Il sait très bien qu'il ne peut rien contre moi. Je klaxonne et lui adresse un signe de main pour le narguer, je démarre sur les chapeaux de roues, le sourire aux lèvres.

vus.u

So Darkness We BecameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant