So Darkness We Became

Madame Lorraine

Rose

Un léger grincement. J'ouvre les yeux. Un courant d'air glacé me caresse le visage. Encore groggy par le sommeil, je me relève. Je constate que je me suis endormie toute habillée. Un instant de vide dans mon esprit puis des images m'assaillent. Celles des rêves, ou des cauchemars qui m'ont tourmentée la nuit durant. Louisa était là nous étions dans la forêt et tout allait bien, jusqu'à ce qu'elle s'évapore tout en me souriant. Je l'ai cherchée, je me suis perdue puis je me suis réveillée.

Je regarde autour de moi aucune trace de Matt. Je sors de mon lit, me précipite à la fenêtre entrouverte. Il marche vers la forêt, sa voiture doit être garée le long de la route, cachée par un talus. Je frappe contre la vitre pour attirer son attention, il est trop loin et ne m'entend pas.

La maison est calme, tout le monde est déjà parti. Ma mère devrait rentrer ce matin, mais elle n'est pas encore là. Je m'enferme dans la salle-de-bain. Je prends une douche brûlante avec en fond sonore plutôt tonitruant, cette vénérée Britney Spears. Aux grands maux, les grands remèdes !

- Show me how you want it to be, tell me, baby, cause I need to know, oh, because... je chante à tue-tête en me savonnant.

C'est ma méthode fétiche pour faire taire le vacarme de mon esprit. Jusqu'ici, ça ne fonctionne pas très bien. Malgré tout son entrain, Britney n'a pas encore réussi à m'arracher de mes peurs. Je sors de la douche, enfile mon peignoir. Je pousse le volume un peu plus fort. Je me mets à danser. Dans ma tête, je suis dans les couloirs de Lutworth et je danse en mini-jupe aux côtés de Britney et ses danseuses. En réalité, je suis juste au milieu de ma salle-de-bain, occupée à effectuer des mouvements désordonnés et tout à fait ridicules. Britney s'est tue, les Backstreet Boys lui succèdent. Je ris, si Jenny était là, elle serait certainement en train de se foutre de moi et de mes goûts musicaux. Soit, on est tous sujets à des influences litigieuses...

Je ne suis toujours pas parvenue à m'ôter de la tête mes doutes et mes craintes. Sans doute font-ils désormais partie intégrante de ce que je suis. La disparition de Louisa m'a changée, j'en suis consciente. Lorsque le malheur frappe, l'insouciance disparaît, c'est bien connu. Ce fait concerne tout le monde, la seule chose qui change c'est le moment où l'insouciance s'envole. Parfois on est très jeune, parfois très vieux et parfois jamais le malheur ne nous frappe, mais c'est rare. Il est tout de même, sur cette terre, des êtres exceptionnels sur qui la fatalité s'acharne sans arrêt et qui envers et contre tout conservent leur innocence, vivent comme si tout allait bien alors que dans leur vie, tout va de travers ! Des êtres comme Louisa Beckett, qui, du haut de ses treize ans, n'a jamais succombé au désespoir.

Hier encore, j'étais persuadée qu'elle était morte, tout mon puzzle s'emboitait parfaitement pour me livrer ce triste résultat. Dans les bois, juste avant que la grêle ne nous chasse, j'ai comme perçu sa présence. Je ne peux pas l'expliquer, tout comme beaucoup de choses qui m'arrivent en ce moment, mais j'avais vraiment l'impression que Louisa était là, à côté de moi, qu'elle voulait me transmettre un message. Cette vision m'a alors traversé l'esprit, celle de son corps, allongé dans le lierre, non pas endormi, mais bien mort.

Aujourd'hui, je doute de nouveau parce que c'est ma nature et parce qu'une part de moi ne peut pas se résigner à la laisser partir. Son histoire ne peut pas se terminer comme ça, c'est impossible ! Louisa n'a jamais abandonné. Et si croire qu'elle était morte était la solution facile, une manière d'abandonner, de tourner la page ?

J'observe mon visage dans le miroir. Mon teint est terne, mes yeux fatigués, je peine à me reconnaître. Où est donc passé mon sourire ? Il est grand temps que Louisa revienne, je ne tiendrai plus longtemps comme ça... Je quitte la salle-de-bain et rejoins le rez-de-chaussée. Harper m'accueille d'un aboiement. On dirait bien qu'elle m'engueule. Elle se dirige vers la porte, et se met à gratter.