So Darkness We Became

Nuit éternelle

Rose

Devant nous, la forêt. Abîme sombre et cruel, siège de toutes les peurs de l'humanité. Espace de paix et de ténèbres, univers obscur plein de paradoxes. Un voile de brume nous sépare des premiers troncs marquant les prémices de la forêt. Je me tiens à côté de Lorraine. Ses yeux sont clos, ses paumes ouvertes en direction des majestueux sapins. Elle inspire profondément et un nuage de buée blanchâtre filtre par ses lèvres. Il fait froid, de petits flocons gelés commencent à tomber au-dessus de nos têtes. C'est la pleine lune.

Lorraine ouvre les paupières, elle me regarde et m'adresse un sourire. Ses longs doigts effleurent ma joue.

- N'aie crainte, tout va bien se passer.

Je déglutis avec peine, il m'est impossible de calmer les battements de mon cœur. J'ai cet inexplicable pressentiment : cette nuit va tout changer. Nous restons un long moment encore sans bouger et bientôt des lueurs vacillantes apparaissent entre les arbres. Noah est le premier à les voir et à bondir sur ses pieds. Eddie l'imite et fait volte-face avant de reculer dangereusement vers notre feu de camp.

Tout le monde finit par se lever et reste pétrifié face à cette armée de gens qui avancent droit sur nous, la même qui a rendu visite à Annie, la même qui nous a poursuivie dans les bois. Mon cœur s'emballe dans ma poitrine, mais je n'ai plus peur, j'ai juste envie de terminer l'histoire. La main d'Annie se referme sur la mienne, elle aussi veut savoir...

Lorraine avance la première, l'herbe gelée craque sous ses pas. Elle s'arrête à l'orée des bois, les lumières continuent de se rapprocher d'elle, puis s'arrêtent. On distingue vaguement des silhouettes, mais cela pourrait aussi être une hallucination.

- C'est une blague, commente Morton.

Annie lâche ma main et avance vers Lorraine. Je la suis, récupérant au passage la main rassurante de Matt. Toute notre petite troupe se met à avancer et bientôt, nous voici entrés dans ce monde qui nous entoure mais qui n'est pas tout à fait le nôtre. Les lumières ont disparu à l'instant même où nous avons rejoint les arbres. Nous sommes seuls parmi la nature.

Le silence n'est pas maître en ces lieux. Une chouette ulule au loin, des craquements se font entendre un peu partout, comme si les arbres se mouvaient tout autour de nous.

Nous avançons longtemps, nous enfonçant chaque minute un peu plus dans cette forêt fascinante. Chaque fois que mon pied heurte le sol, une décharge électrique semble traverser mon corps, me rappelant ô combien je suis petite, à la merci de cette nature indomptable qui décide de tout, de la vie, comme de la mort. Tant de gens sont morts entre ces pins, se sont perdus dans les méandres de sentiers qui ne mènent à rien. Mais tant d'autres sont revenus à la vie ici, ont retrouvé leur chemin alors qu'ils étaient perdus. Ces arbres sont habités, ils décident de tout.

J'ai un peu peur, je l'avoue, mais je continue à marcher entre les fougères. La peur n'existe plus si l'on décide de ne plus lui accorder d'importance. Il est temps pour moi de vérifier cette croyance. Lorsqu'un nouveau cri résonne dans la forêt, nous nous arrêtons net. Mes entrailles se tordent.

- C'était quoi ça ? demande Matt sur ses gardes.

- Chuuut, murmure Lorraine, toujours à côté de moi. La forêt se réveille, elle n'aime pas les visiteurs nocturnes.

Un autre cri. Plus proche. Puis encore un autre, juste derrière nous. Je fais volte-face. Une silhouette se découpe entre deux troncs, à une vingtaine de mètres de nous. Une femme, je crois, vu ses longs cheveux tombant presque jusqu'au sol. Elle est menue et s'appuie sur un long bâton. Contrairement à ce cher homme des bois dont j'ai croisé plusieurs fois la route, celle-ci me semble bien réelle, loin d'être une émanation. Rapidement, une deuxième silhouette sort de l'ombre, remontant à la surface d'une épaisse couche de fougères. La troisième apparaît dans la foulée, tombant d'un arbre.