So Darkness We Became

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Rose

Je fixe l'équation qui s'étale sur ma feuille. Je n'essaye même pas de la résoudre et pour cause, dans quelques minutes la torture du cours de math sera terminée. Les yeux rivés sur le cadran de ma montre, je regarde l'aiguille avancer jusqu'à ce qu'enfin, la sonnerie retentisse dans le couloir. Jamais une journée ne m'aura paru aussi longue. Le cauchemar aura commencé ce matin, à six heures à peine, en voyant Annie se faire emmener par ces hommes en blouses blanches, il n'aura fait qu'empirer après un nouvel interrogatoire du shérif Foley, en compagnie d'une Penelope Stilton plus troublée que jamais.

Je range mes affaires dans ce même silence que j'aurai entretenu la journée durant. J'ai à peine adressé la parole à Noah et Jenny, heureusement nous ne sommes pas beaucoup vus aujourd'hui, sinon ils auraient posé des questions. J'aurais dû rester chez moi ; mon lit et un bon bouquin à l'eau de rose, voilà qui aurait été la meilleures des options pour traverser ce lundi. Sauf que je ne veux pas fuir la réalité qui m'accable en ce moment, je veux être là et agir pour faire bouger les choses et retrouver Louisa. Alors certes, aujourd'hui je n'ai pas beaucoup agi, mais j'ai surtout réfléchi et on peut dire qu'à la fin de cette journée, je ne suis pas beaucoup plus avancée...

Tous les élèves ont déjà quitté la classe, à mon tour je sors. Dans le couloir, la voix de Stanley rappelle la tenue ce soir d'un hommage à Luke Hart, notre camarade décédé vendredi. Il invite tous les élèves à se rejoindre à dix-huit heures dans la salle de basket de l'école pour témoigner leur soutien à la famille ainsi qu'aux amis de Hart. Je n'aurais jamais cru pouvoir un jour dire ça, mais cette première journée à Lutworth sans Luke Hart et sans espoir de le voir revenir un jour, m'a laissé un étrange goût amer. Luke était un crétin, c'est un fait avéré, mais il était aussi un adolescent. Je dirais que c'est le propre des adolescents de faire des bêtises, parfois méchantes, souvent totalement inconscientes ! Il avait encore toute la vie devant lui, remplie de chances de devenir quelqu'un de bien. C'était peut-être un con, mais il ne méritait pas ce qu'il lui est arrivé, tout comme Louisa. Et voilà que je parle de lui au passé...

J'abandonne mon livre de math dans mon casier. J'aperçois Matt Seagal au bout du couloir, il a essayé de me parler toute la journée. Je n'en ai toujours pas envie. Heureusement je ne dois pas aller dans sa direction. Je disparais avant qu'il ne me voie et monte au premier étage. La masse d'étudiants qui descend ne me remarque même pas, pauvre petit poisson remontant le courant. Tout le monde est encore sous le choc de ce qui est arrivé à Luke Hart, la star du bahut. Peu d'informations sont sorties du bureau du shérif quant aux circonstances de sa mort. De mon côté, je connais quelques détails qui tourmenteraient bon nombre d'habitants de cette ville. Grâce au talkie walkie de Thomas, en me branchant sur le canal utilisé par Foley, j'ai appris que Luke Hart avait été retrouvé mort dans un arbre. Ou plus exactement dans une sorte de cocon tissé de branches. Cherchez plus glauque, vous ne trouverez pas !

Je rentre dans l'ancienne salle de classe servant à présent de bureau de rédaction au Lutworth Register. Je referme la porte derrière moi, tire même le rideau de la fenêtre. Je veux être tranquille. J'appuie sur le bouton « démarrer » de l'antique ordinateur du journal. Pendant qu'il sort de sa torpeur, je me poste devant le tableau blanc, l'épicentre de mes investigations. Au milieu de celui-ci, une photo de Louisa. Tout autour, un rapport de police, une coupure de journal ainsi qu'une photo de l'endroit où elle a disparu ; la forêt. Difficile à admettre, mais c'est pourtant elle, mon principal suspect.

J'ai organisé une réunion d'urgence ce matin même avec notre comité de rédaction. J'ai décidé de remiser le bicentenaire de l'école ainsi que la nouvelle sélection de l'équipe de hockey pour concentrer toutes mes forces dans une seule et même direction : l'enquête Louisa Beckett. Noah et Jenny ont immédiatement montré leur enthousiasme, c'est eux qui m'avaient soufflé l'idée la semaine dernière d'utiliser le journal pour mener à bien notre enquête. Les nouveaux furent plus difficiles à convaincre mais étant en minorité face à trois élèves de dernières années, ils ont vite cédé. Avec ou sans eux, j'aurais de toute façon continué...