So Darkness We Became

Trick or Treat

Rose

Je pose mon couteau sur la table. À ma gauche, treize citrouilles sculptées, misérablement il faut bien l'avouer. À ma droite, de quoi faire de la soupe pour au moins six mois. Je me lève pour aller récupérer le paquet de bougies que j'ai abandonné dans l'entrée. Délicatement, j'en dépose une dans chaque lanterne. Elles ont déjà plus bel air comme ceci. Le grand ballet peut alors commencer, je les emmène toutes dehors, prête à leur trouver l'endroit qui les mettra le mieux en valeur. Dans les recoins les moins en vue, j'abandonne les plus moches à commencer par celles de Dean et Thomas qui ont tenu à m'aider et à massacrer ces pauvres citrouilles. Si les miennes pourraient être bien mieux réussies, les leur sont juste horribles. Halloween est fait pour ça me direz-vous ! Peut-être, mais il y a des limites à la monstruosité.

La première qu'ils ont sculptée devait être à l'effigie de Yeenoghu, un démon de leur jeu favori, Donjons et Dragons, si j'ai bien compris. Je ne peux même pas décrire ce que je vois. La seconde est un autre démon nommé Démogorgon. Les deux résultats sont à peu près identiques ; un amas de chair orange déchiquetée. Pauvres citrouilles... Et dire que ma mère est parvenue à les féliciter pour leur si joli travail. Elle ne devait pas porter ses lunettes...

Mes autres jack-o'-lanterns sont tout à fait classiques et plus agréables à regarder je les dépose donc tout autour de la maison, sur la terrasse et sur le perron. Le résultat est satisfaisant. L'air frais commence à tomber tandis que le soleil décline de l'autre côté du lac. Je rentre, prenant bien soin de refermer la porte derrière moi, à clef. Après ce qui est arrivé à Annie, je préfère prendre mes précautions.

Dans la cuisine le bip du micro-ondes m'appelle. Mon chocolat chaud est prêt. J'y ajoute une bonne cuillère de purée de citrouille, presque autant de cannelle. Me voici parée pour une bonne soirée cocooning. Stanley et Maman sont sortis. Dean et Thomas s'apprêtent à partir pour la tournée des bonbons. Quant à moi, ma seule perspective est le calme.

Après toute l'agitation liée à l'arrivée du FBI à Silver Hollow, je n'ai qu'une seule envie me poser pour réfléchir et rassembler mes esprits éparpillés au gré des accusations de ce roquet de Dave Redfield. Après plusieurs semaines d'investigations infructueuses, il semble me lâcher la grappe. À présent, il a jeté son dévolu sur Lorraine Rainier qui sera sans doute beaucoup moins conciliante que moi. Il risque d'y perdre des plumes et c'est tant mieux, ça le fera redescendre un peu.

J'ai programmé ma soirée entre détente et recherches. En réalité, l'intitulé correct est « Recherches en pyjama ». Les semaines passent, l'enquête n'avance pas d'un poil mais je ne lâche rien. Je continue de me documenter et de fouiner partout où je peux. Il suffirait d'un nouvel élément. Au début de la semaine, je me suis repenchée sur cette fameuse photo et j'en suis arrivée à la conclusion qu'il fallait que je parle à Mr Fawcett. Ironie du sort, lui qui n'a pas dû rater un jour de cours en trente ans de carrière est noté absent depuis deux jours. Pas besoin de préciser que l'heure est à la fête à Lutworth... Dans ma tête, c'est autre chose.

Je bois quelques gorgées de ma boisson. Au fur et à mesure que le liquide sucré pénètre dans mon organisme, je sens le réconfort m'envelopper. Je m'assieds dans le canapé et pose ma tête contre le dossier. Je ferme les yeux et vide mon esprit de toutes ses pensées. Et soudain, une idée lumineuse me frappe de plein fouet. Rien à voir avec mon enquête, c'est plutôt de l'ordre de la détente cette fois. Dans la collection de CDs de Stanley, je déniche la perle rare, celle qui m'a fait rêver toute mon enfance. La seule et l'unique Loreena McKennitt ! Je lance le disque. Piano. Violons. Percussions. Cela suffit à m'emporter dans cette même transe dans laquelle j'adorais me plonger quand j'étais petite. Je m'imaginais dans une longue robe blanche, dansant dans les bois. Je souris en tournant sur moi-même, entre la table basse et le canapé.