Une bonne douche me sert toujours de détente intellectuelle. Je m'y prélasse pour évacuer les tensions intérieures et méditer. Le plus souvent, c'est le contact avec l'eau qui me donne les meilleures illuminations mentales. Si le bouddha a vraiment atteint le Nirvana une fois dans sa vie, ce devait être un jour de pluie !
Je sais que j'y suis presque. Une partie de mon cerveau le sait. Il se joue de moi en dissimulant ses résultats comme pour me mettre à l'épreuve. C'est étrange, l'eau devient bouillante par moment. Je constate aussi que la ventilation ne fonctionne pas correctement. La vapeur d'eau remplie la pièce à vue d'œil. Je me demande si c'est une illusion. Mes yeux sont embués, ils sont tout aussi fatigués que moi. J'ai de nouveau travaillé une bonne partie de la nuit. En frottant mon dos pour me rincer, une vive démangeaison m'envahie. Je l'avais oublié : un problème de peau qui est apparu soudainement. Des rougeurs accompagnées de boutons. J'espère que je n'ai pas chopé la galle ! Je dois avouer que je ne prends pas assez soin de moi. Mon corps se venge.
Cela fait plusieurs mois que je dors de manières épisodiques. 3 à 4 heures, jamais plus. Une suite d'équations plus complexes les unes que les autres me donnent des sueurs froides jours et nuits depuis plus de trois ans. Elles parachèvent un travail de recherche d'une quinzaine d'années.
J'ai décelé une petite suite de variables dont je ne comprends pas la nature. Bizarrement, j'ai la forte intuition de savoir ce qu'elles tentent de me dire. C'est comme si ce savoir était présent quelque part dans mon inconscient, mais qu'une force m'empêchait de le saisir.
Je laisse l'eau couler sur mon crâne et ferme les yeux. J'aime le bruit du flot qui vient se jeter violemment contre les parois de la cage de douche. Je me demande si une partie de l'émail du receveur en céramique s'érode ? Quelle serait le délai nécessaire pour qu'une partie de la cage disparaisse ? Comme d'habitude, mes pensées s'égarent...
Je crois que je l'ai !
Oui, je crois que j'ai trouvé la pièce manquante à mon puzzle. Testons cette idée. Non, il faut que j'aille me coucher ! Oh, et puis tant pis, je ne vais pas mettre en pause mon travail juste pour un peu de sommeil ! Je n'ai pas besoin d'être à 100% de mes capacités physiques et mentales pour vendre des télés. 5% devrait suffire ! C'est l'avantage de faire un métier qui ne nécessite pas d'être très vigilant. Mes collègues le remarqueront. Je m'en fiche.
Je sors de la douche promptement et commence à m'essuyer mais vérifie rapidement que j'ai bien fermé les robinets. J'enfile mon pyjama et sors rejoindre ma table de salle à manger qui me sert de bureau. Mince, je ne sais plus si j'ai bien fermé les robinets ? Peu importe, je crois que j'ai déjà vérifié. Je vais quand même jeter un coup d'œil...
Mes cheveux sont humides, c'est assez désagréable. J'ai des picotements dans les yeux. Je me sens flotter. Bien que le chauffage fonctionne à plein régime, j'ai un peu froid. Un café devrait me réchauffer. Je nettoie en quelques gestes mon seul mug fétiche. Il faudra en racheter un autre, j'ai cassé l'anse en le faisant tomber d'un coup de main spasmodique. Le café vient à manquer.
« Brrrrrr !!!! »
Cette machine fait un bruit insupportable ! Elle fait trembler toute la planche de travail de la cuisine. La tasse est très chaude. Je la fait donc passer d'une main à l'autre alors que je me dirige vers une chaise et m'y installe. Hum... le café est dégueulasse. Quelle idée d'acheter du premier prix !
Je devrais songer à travailler au stylo à bille. Mon carnet est couvert de graphite étalé par le flanc de ma main. Ce problème doit être moins fréquent chez les populations qui écrivent de droite à gauche. Ma mine se casse. Il faut que j'achète un criterium à mine plus épaisse. Le 0.5mm n'est pas assez résistant. La solidité du 0.7 devrait contrer la force exercée par mes doigts. Qu'est-ce qui me prends à penser à ça ? Il faut vraiment que j'aille me coucher ! Mais avant d'aller me reposer dans les bras de Morphée, je vais redévelopper mes équations. Une fois de plus. Je me rappelle d'Edison et de sa formule : « je n'ai pas échoué, j'ai juste trouvé 10 000 solutions qui ne fonctionnent pas ». J'allume mon ordinateur, enserre mon casque audio et lance une playlist musicale. De la musique classique. Le seul style musical qui me permet de rester parfaitement concentré.
Il y a de plus en plus de circulation dehors. Merde, le temps passe vite ! Il faut que j'arrête de bailler. Je n'ose regarder l'horloge de mon téléphone portable. Tant que le soleil ne se lève pas, il me reste du temps. C'est la troisième fois que je teste mon idée. Une énième version. Aucune d'entre elles ne fonctionne pour le moment mais j'y crois. Allez Lucas, je crois en toi !
J'ai un frisson.
Je crois que c'est ça ! Je souris bêtement, je ne peux pas m'en empêcher. L'excitation monte dans mes tripes. Je ne peux la contenir. Je commence à pleurer. Plus je contiens mon excitation, plus je pleure. Je succombe à la fatigue. Je ne suis pas complètement sûr de moi, mais je crois que c'est bon. Quelle folie ! Je suis cinglé ! Je dois encore examiner quelques preuves, mais dans l'ensemble je suis assez satisfait de ma production.
Bon, il est temps d'aller se coucher. Putain, il ne me reste qu'une heure et demie avant la reprise du boulot ! Je ne peux m'empêcher de vouloir revérifier mes notes. Encore et encore.
En les regardant de loin, mes équations me charment. Elles sont si belles ! Je les contemple, immobile, pétrifié par la douceur hypnotique de leur forme. C'est mon plaisir égoïste.
Allez, au dodo ! Je m'accorde une heure. Juste, une heure...
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Lucas
RomanceLucas rejette émotions et sentiments et n'accorde de l'importance qu'à la logique. Mais une rencontre va bouleverser sa vie...