Le téléphone sonne. Je ne connais pas le numéro. Comme toujours, j'hésite à répondre.
_ Allo.
_ Allo, monsieur Belle-feuille, c'est Patrick Druont du magasin OMM.
_ Oui.
_ Bonjour, je vous appelle pour vous dire que vous avez été sélectionné pour travailler chez nous.
Quoi ? Il leur a fallu autant de temps pour se décider ! Je n'ai vraiment pas envie de reprendre un emploi maintenant !
_ D'accord. Dis-je las.
_ On vous attend lundi à 6h du matin.
_ D'accord...
Bon sang, je ne veux pas travailler dans ton magasin !
_ Je vous souhaite une bonne journée monsieur Belle-feuille.
_ Bonne journée.
Je ne veux vraiment pas travailler dans ton putain de magasin ! Je soupire. Mais je ne peux pas refuser cet emploi. Je n'ai pas le choix sous peine de me ruiner. En cas de refus du poste, je risque de ne plus percevoir d'indemnisation.
Je m'allonge dans mon canapé transporté d'une humeur massacrante. J'ai beau tenter de chercher du positif dans cette nouvelle, je m'énerve encore plus. On finit par s'habituer à ne rien faire. Moi, particulièrement. Je commençai seulement maintenant à profiter de mon chômage.
Je réfléchis aux diverses solutions qui permettraient de me sortir de ce mauvais pas. Je préférerai faire une formation. Allez, c'est décidé ! Je vais m'inscrire à l'université ! Je pourrais compléter mes recherches et acquérir de nouvelles connaissances. Je ne sais pas... J'y ai déjà pensé. Je peux conserver mon indemnisation de chômage pendant encore un peu plus d'un an et demi mais ce ne sera pas suffisant pour poursuivre mes études. Je pourrais éventuellement faire un crédit ? Mais quel organisme me fera confiance. Je vais avoir besoin d'une caution, d'un nouvel appartement. Non. Je dois me résigner. Il me reste quelques jours pour me préparer psychologiquement à affronter ce nouveau job.
Les bruits de télé me gonflent. Entre 12h et 14h, mes voisins regardent la même émission. Certainement pour me faire chier deux fois plus ! Laissez-moi m'énerver en paix ! Maintenant, je ne sais plus si j'ai refermé le réfrigérateur correctement. J'inspire et expire lentement. Plusieurs fois. Il faut que j'aille vérifier. Je me lève subitement et un voile noir couvre mes yeux. Un étourdissement me fige. Il faut que je mange un peu. Une viennoiserie suffira. Elles sont un peu sèches mais restent mangeables.
Mon téléphone sonne. Encore. C'est Hugo. Il veut certainement prendre de mes nouvelles. Je ne suis pas volontaire pour lui répondre. Il subit ma colère alors qu'il n'y est pour rien. Je le rappellerai plus tard.
Maintenant, c'est la sonnerie de mon interphone qui résonne dans la pièce. Ça leur arracherai la gueule de me foutre la paix ! Je décroche.
_ Oui.
_ Bonjour ! Vous êtes monsieur Belle-feuille ?
C'est le nom que mes parents m'ont donné connard !
_ Oui, c'est moi.
_ J'ai un colis pour vous!
_ J'arrive.
J'ouvre la porte et descend à toute vitesse les escaliers. Je vois une dame parler à une autre résidente. Je les salue furtivement. L'une d'entre elles semble triste. Je continue ma course jusqu'à l'entrée de l'immeuble et ouvre le livreur. Il me remet un paquet. Je signe avec un stylet sur une petite tablette tactile puis remonte. Je repasse devant les dames. La plus triste me regarde et m'aborde, ce qui me stoppe dans mon élan :
_ Bonjour monsieur. Vous avez pu réparer votre voiture ?
_ Bonjour. Euh... juste la lunette arrière. Et... je viens de recevoir de nouveaux rétroviseurs.
_ Mon mari a eu de la peine pour vous.
Je la regarde, interrogé, puis comprend que c'est l'épouse du type qui m'a signalé l'incident.
_ Ce n'était pas si grave, dis-je.
_ Il est mort.
_ ...
Ma tête se baisse. Je me mets à fixer les motifs géométriques du tapis qui recouvre le sol du couloir. Parler de mort me met toujours dans des états bizarres. Je ne sais jamais quoi dire dans ce genre de situation. On parle souvent de condoléances, mais je ne sais pas ce que le terme signifie donc je ne l'emploie jamais.
_ Je suis désolé... Je suis... désolé.
Son regard me gêne. Je n'ose plus la regarder en face. Ses yeux expriment tellement de souffrances que les miens commencent à se gorger d'eau. Je salue les dames rapidement et monte rejoindre mon appartement. Je me frotte les yeux. A présent, je ne suis plus énervé. Je passe devant mon réfrigérateur pour voir s'il est bien fermé. Oui il l'est.
Je me rallonge sur mon canapé et pense. J'ai un rapport à la mort assez particulier. Et je sais au fond de moi que mes comportements phobiques y trouvent un peu de leur origine. Je pourrais mourir demain ou dans la minute ? Chaque instant qui passe augmente les probabilités de chance que la mort me fauche. C'est assez angoissant. Je n'ai jamais eu de gros problèmes de santé, hormis de vilaines grippes. Pour cette raison, je me suis toujours attendu au pire.
Je ne veux pas vivre vieux, juste assez pour avoir été heureux le plus longtemps possible. Je me dois d'essayer d'être plus heureux. Loin de me dire que je ne le suis pas du tout, il est clair que je ne le suis pas pleinement. C'est un hommage que l'on fait à sa propre vie que d'essayer de l'être. Je vais y travailler un peu plus.
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Lucas
RomanceLucas rejette émotions et sentiments et n'accorde de l'importance qu'à la logique. Mais une rencontre va bouleverser sa vie...