Ma dernière semaine de travail s'est achevée. Je n'ai plus abordé avec Églantine ce passage stupide dans lequel je voulais que nous partions ensemble. J'ai même plutôt honte du comportement que j'ai eu.
Le dernier jour, j'ai accepté sur un coup de tête de jouer du piano devant quelques-uns de mes collègues. Le piano avait été installé pour un concours organisé par le magasin. On ne peut pas dire que je sache jouer. Je connais un seul morceau. Une nocturne que j'ai apprise pour plaire à une demoiselle quand j'étais adolescent. Je l'ai tellement répété qu'elle est restée gravée dans ma mémoire. « La nocturne 15 opus 55 numéro 1 en F mineur de Frédéric Chopin pour mesdames et messieurs ! ». Mes doigts étaient un peu rouillés, mais malgré quelques fausses notes en début de récital, je finis par prendre mes aises. Le silence a gagné mon entourage. Plus personne ne parlait. Je laissai glisser mes doigts, notes après notes, happé par la mélodie. J'étais concentré et amoureux, je crois que ce dernier point m'a grandement aidé. Lorsque j'eu finis, un tonnerre d'applaudissements retentit de toute part. Certains étaient émus aux larmes. Des visiteurs s'étaient ajoutés à l'assemblée pour écouter. Je ne pensais pas que j'allais provoquer de telles émotions. Seule ombre au tableau, Églantine n'était pas là. C'est dommage, j'ai joué ce morceau pour elle et en pensant à elle.
A présent, je suis seul chez moi. Inquiet pour l'avenir. Je reste planté devant la fenêtre de la cuisine à observer le parking et la petite cours situé plus à droite. Des enfants jouent. Un adolescent s'essaye au skateboard. Des gens marchent. Le ciel est éclatant. L'hiver décline petit à petit. Les rayons du Soleil brûlent ma peau. J'ouvre la fenêtre. Un léger courant d'air circule. Les arbres bruissent. J'entends les voix des enfants qui se chamaillent. Ils ont des bonnets à pompon multicolores. Je pense à Hugo et Estelle. Je me demande si nous pourrions avoir des enfants, moi et Églantine. Je me reprends en me disant que c'est prématuré d'y penser. Chaque chose en son temps ! Des hommes en djellaba marchent. Bien que mes finances vont drastiquement diminuées, je pourrais envisager de voyager avec Églantine. Sauf que je dois encore payer les traites de la télé...
Quand j'y pense, un homme au chômage, ce n'est pas ce qu'il y a de plus sexy pour une femme ! Je me mets devant mon PC et commence à chercher du travail sur Internet. Les offres ne sont pas alléchantes. Je veux pouvoir offrir à Églantine tout ce qu'elle désire. Moi, je n'ai besoin de rien. Je ne suis pas matérialiste.
Je consulte frénétiquement toutes les offres. Aucune ne correspond à mon profil.
Je lâche mon PC pour m'allonger sur le canapé. J'allume la télé avec la télécommande. Je zappe d'émissions en émissions. Je reste sur une chaîne d'actualité en continue. Je soupire. Ils n'ont que de la violence à montrer. Une violence qu'ils passent en boucle toute la journée. Attentats, meurtres, crimes sexuels, guerre, corruptions... c'est la chaîne de l'ignominie humaine, immédiate et mondialisée, décryptée par de prétendus experts. J'éteins la télé. Je préfère penser.
Je ne me sens pas très bien. Je crois que quelque chose ne tourne pas rond. C'est qui ce type habillé en pingouin ? Je m'approche de lui. Il est métis et chauve.
_ Bonjour monsieur ! Comment puis-je vous servir ? Demande-t-il enjoué.
_ Je n'ai besoin de rien. Qui êtes-vous ?
_ Je suis Frédéric, le serviteur !
Cet homme m'est inconnu. Je vois soudainement des hommes en treillis courir dans la pièce avec armes à la main.
_ Qu'est-ce qu'on fait ici ? L'interroge-je.
_ On boit des verres je crois ! Cela fait partie des habitudes de la maison. Maintenant que vous me le dites, on y fait aussi d'autres choses. Des gens se rencontrent et se parlent !
Il se penche vers moi.
_ Certains batifolent ! dit-il en ricanant.
Je regarde autour de moi. La lumière est faible. Je n'ai jamais vu cet endroit auparavant. Je suis dans un grand salon rempli de tables. Les murs semblent vieillots et parsemés de décorations étranges. Je vois des portraits d'époque. Des draps rouges à coutures dorées sont accrochés un peu partout. Un vieil homme habillé en marin fume un cigare, tandis qu'un enfant assis sur ces genoux joue avec une voiturette. Sur une autre table, deux femmes discutent. Leurs tenues sont originales.
_ Où suis-je ?
_ Vous êtes chez vous, pardi !
_ Chez moi ?
_ Oui, dit le serviteur en regardant autour de lui. Bel intérieur monsieur ! Je vous félicite pour cet arrangement !
Je baisse les yeux et remarque un petit lézard qui se tortille sur le sol.
_ Je dois vous quitter sur le champ ! S'écrie Frédéric en montrant du doigt un piano derrière lui. Allez donc nous jouer un petit air si le cœur vous en dit !
Je n'avais pas remarqué ce piano. Il ne semble pas avoir de bord. En tournant les yeux, je m'aperçois que le serviteur a disparu.
Une femme s'approche, vêtue d'une longue robe noire scintillante, comme celle que l'on portait dans les années 1930. Elle porte une coiffe sertie d'un petit voile blanc sur l'un des côtés. Une rose noire se dresse dans sa main. Ses lèvres sont écarlates et pulpeuses.
_ Alors mon beau, on est perdu ?
_ Non...
_ Regarde-moi !
_ Pardon ?
_ Regarde-moi ! Dit-elle avec férocité en prenant mon visage.
Je sens son souffle et ses mains froides contre mes joues. Elle a de grands yeux bleus entourés de cils noirs tellement longs que je n'en vois pas la fin.
_ Nous nous sommes déjà vus ?
_ Je te connais, dit-elle. Tu sais, je ne tombe jamais amoureuse.
_ Je dois m'en aller.
_ Tu ne payes pas ? Il faut toujours payer pour les jolies dames, mon beau !
Je sens quelque-chose vibrer. Je baisse la tête. Je remarque à présent qu'il y a des carreaux sur le sol. Il n'y en avait pas tout à l'heure.
_ Tu ne décroches pas ? Demande la femme surprise.
J'ouvre les yeux subitement. Je suis chez moi, toujours allongé sur mon canapé. Mon téléphone portable est en train de vibrer. Je le saisie. Un numéro masqué...
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Lucas
RomanceLucas rejette émotions et sentiments et n'accorde de l'importance qu'à la logique. Mais une rencontre va bouleverser sa vie...