SOIXANTE-SIX

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Il est tard, il fait peut-être nuit.

Je suis sous la douche depuis maintenant un bon moment, même trop long à vrai dire, fripant ma peau sous le contact constant de l'eau. Le liquide chaud touche mon épiderme, le dévale et rejoint le sol en une fraction de secondes alors que mes bras restent tendus le long de mon corps comme le seraient ceux d'un pantin. Je ne bouge pas, profitant seulement du contact du liquide brûlant contre ma peau alors que mes yeux sont fermés et mon esprit ailleurs, comme plongé dans une profonde réflexion.

Il est tard, il fait sûrement nuit alors que je me perds dans mes pensées, réfléchissant à tout ce qui m'entoure, à tout ce qui se passe.

Il est tard, il fait presque nuit alors que je pense à lui.

Je ne me rappelle même plus à quel moment nos relations se sont autant dégradées, à quel moment nos liens se sont brisés.

À partir de quel moment et pourquoi sa simple vue me donnait-elle envie de vomir ?

Tout reste flou, comme surplombé par un voile. Je vois le changement mais je ne peux pas l'expliquer, tout a été beaucoup trop rapide, trop brusque, trop intense. Le départ de notre mère et tous les événements qui ont suivis ont semblaient se liguer contre nous pour nous provoquer, nous opposer, nous séparer.

Ou alors on a tout simplement choisis de prendre des chemins différents, je ne sais pas vraiment.

« Souviens toi qu'après l'hiver revient le printemps. »

Je me répétais cette simple phrase à longueur de journée, essayant de garder les pieds sur terre, la tête sur les épaules et l'envie, l'envie de continuer, l'envie de vivre. Avec cette simple phrase, ma mère m'avait transmis toute la force dont j'avais besoin pour survivre sans elle, cette force qui manquait à mon frère, l'obligeant à la rechercher ailleurs.

Plongé dans ses vices, aveuglé par la luxure et par ce sentiment d'invulnérabilité, il est devenu hautain, insupportable, totalement détestable. - Ou plutôt la peine l'a rendu comme ça. L'argent, le sexe et la drogue avaient comme remplacé le trou béant qu'avait laissé le départ de notre mère.

Il l'avait remplacée et oubliée comme un simple objet qui serait usé, démodé, cassé.

C'est ça qu'il fait en fait, c'est ça son truc.

Il aime tout avoir, tout posséder, essayant de se convaincre que c'est ça qui le rend heureux. Il aime obtenir ce qu'il ne devrait pas avoir, il aime se surpasser, il aime la compétition, il aime les défis. Et quand il y arrive enfin - parce qu'il y arrive toujours - il s'en débarrasse pour tout recommencer.

C'est un cercle infini.
Une boucle qui recommence encore et encore.

C'est comme un jeu pour lui, un jeu bien peu ennuyant.

Il est tard, il fait déjà nuit alors que je n'ai toujours pas bougé, mes membres devenues presque anesthésiés par mon manque de mouvement.

Il est tard, il fait nuit depuis longtemps alors que je pense à eux.

Je pense à Namjoon, allongé sur son lit d'hôpital; Je pense à Yoongi, assis à ses côtés. Je pense à ma mère, partie beaucoup trop tôt. Je pense à mon père que je ne considère plus comme tel. Je pense à mon frère et à son jeu répétitif.

Je pense à chaque personne qui à croisé ma route, influencé mes choix, boulversé ma vie.

Et je pense à lui.

Je refuse que Taehyung rejoigne la boucle douloureuse qu'est devenue la vie de mon frère. Je refuse qu'il soit mêlé à son putain de jeu malsain.

Junghyun peut toujours essayer et bien sûr qu'il va essayer, mais il n'y arriveras pas, pas cette fois. Il n'y arrivera pas parce que Taehyung m'appartient déjà, même si lui-même refuse de l'admettre.

Enfin, pour l'instant.

𝐒𝐄𝐎𝐔𝐋 | ʲʲᵏ⁺ᵏᵗʰOù les histoires vivent. Découvrez maintenant