5. Musique

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Le matin, c'est sous la symphonie de tout un orchestre dans ma tête que j'avais ouvert les yeux. Mes migraines quotidiennes reprenaient leur rythme et mon cœur semblait battre dans mes tempes. Chancelante, j'avais quitté mon lit avant d'enfiler mes chaussons. 

Je devais aller en cours. C'est ce que je me répétais chaque seconde. Parce qu'une heure manquée, me contraindrait à en passer deux avec mon père. Et je ne le voulais pas. 

Je ne voulais plus de coups, plus de douleur ni de frayeur. 

Alors j'obéissais. Je le devais. 

Dans mes souvenirs, la chose la plus terrifiante que j'avais eu à subir, avait été la cave. Ce que j'avais fini par appeler, la boîte noire. Il m'y avait fait goûter un jour où, éreintée, j'avais fugué. Et après m'avoir retrouvée, il était parvenu à supprimer le reste de détermination qu'avec du mal, j'avais tenté de préserver. 

Alors je ne recommencerai plus.

Plus jamais.

Le pas lent, j'avais écouté le silence de la maison, nerveuse à l'idée de faire du bruit qui réveillerait mon père. Mais en passant devant sa porte entrouverte, je m'étais détendue.

Il n'était pas là. 

Dans la salle de bains, c'est face au miroir que je m'étais retrouvée et je n'avais rien pu faire d'autre que de le contempler. Lui, puis mon reflet aussi. Les yeux dans les miens, j'avais posé mes mains sur les bords du lavabo, les bras tendus, le corps penché en avant. 

Et je l'avais détesté, ce miroir. 

Parce qu'il n'était qu'un réflecteur de lumière, un reflet de la réalité tout en restant inexistant. Il avait ce don. Celui de le détester, ou d'en tomber amoureux. Celui qui, d'un regard, envoûtait l'homme de quelques murmures. Et si son pouvoir possédait ces airs immenses, il n'en restait pas moins fragile qu'un pétale. 

Facilement brisé, sensible.

Le visage face à lui, je l'avais trouvé traître. Parce qu'il copiait mes mouvements, mes gestes et parfois même, mes pensées. Et lorsque l'envie lui prenait, il déformait ma silhouette, la modifiait, la multipliait. 

Je l'avais haï, ce miroir. 

Puis dans les paroles d'un silence, je m'étais détestée ensuite. 

Parce que mes cheveux noirs, abîmés me semblaient si secs, que mes yeux clairs paraissaient éreintés. Parce que ma mâchoire avait à nouveau changé de couleur et que mes lèvres s'étaient fanées. Dans ce que reflétait le miroir, j'y avais observé mon cou dont les os ressortaient un peu plus bas. J'y avais constaté mon corps décoloré, mes mains gercées puis les traces d'un passé que je ne serai jamais capable d'effacer.  

J'étais marquée. 

Sur l'ombre d'une route que j'avais emprunté, seule, je m'étais rappelée les paroles de ma mère, et combien j'aurais dû l'écouter. Combien fuir nous aurait sauvés. 

Et à présent qu'elle n'était plus là, je m'étais rendue compte de ce que toute ma vie n'avait jamais cessé d'impliquer. Les coups que ma mère prenait pour me protéger, ceux qu'elle savait qu'un jour, me seraient réservés. 

Oui.

Je m'étais rappelée ses cris, ses larmes et ces mots qu'elle osait lancer entre deux sanglots. Les mêmes qu'elle avait prononcé avant de me quitter.

Va-t'en!

Et dans un sourire empli d'une mélancolie que je n'avais su saisir à l'époque, elle m'avait soufflé, une dernière fois.

Je suis làOù les histoires vivent. Découvrez maintenant