« Assez plate. Je ne m'intéresse pas vraiment aux garçons. » La table en entier lâche un soupire général d'effroi. « Dans le sens où je me concentre sur mes études ! »
Je m'écris si fort que Antoine finit par m'observer bizarrement, comme si il savait.
« Heureusement... » répond mon grand-père
« Je serai triste si tu aimais les filles. Je remercie Dieu tous les soirs de ne pas avoir à me justifier comme ma copine... » Elle chuchote en nous observant tous un par un « son petit-fils est homosexuel... »
Mes parents ajoutent une couche bien lourde sur la réplique de ma grand-mère en insistant sur la mélancolie qui s'étendrait sur la famille. J'avais l'impression d'entendre un semblant de deuil d'humanité si l'un d'entre nous venait à avouer son homosexualité. Dans ces moments-là, je me rassure en me disant que tous mes efforts pour me cacher sont utiles à ma propre survie.
Cette conversation a été particulièrement intense en émotions de mon côté. Je n'ai pu accueillir mes larmes que pendant la prière et faire passer la tristesse que je ressens par l'intensité de la prière. Personne ne se doute de la souffrance qui me broie l'estomac tous les jours. Aucun de mes parents ne serait capable de me soutenir, me relever et m'aimer comme je suis. Au début de mon adolescence, je pensais à une anormalité dans mon système, comme un problème de programmation dans mon genre ou mon identité, j'étais loin de penser que je n'étais pas la seule. J'ai grandi dans un cercle où ce genre de sujet n'est pas accepté, je remercierai jamais assez l'univers de m'avoir fait grandir au travers des réseaux sociaux, un lieu ou j'ai pu découvrir que j'étais normale.
Je n'écoute plus les paroles de mon père, je n'écoute plus les chants de ma mère ou les chuchotements de ma grand-mère, je m'enferme dans une véhémence d'émotions qui s'éprend de moi avec force, avec puissance. Ma poitrine s'affaisse, mon coeur se rétrécit et mes poumons se resserrent. La sensation de la douleur psychologique est pire que celle physique parce-qu'on ne sait pas la guérir aussi facilement qu'avec une crème ou une pilule. La fissure psychologique est longue, douloureuse et ne cicatrise pas. On s'habitue simplement au supplice.
Après 45 minutes à jouer le rôle de la cruche qui pleure en entendant les prières, je m'excuse et je me retire. Généralement, au moment ou mes parents sortent la bouteille de vin il est temps pour moi de m'enfuir dans ma chambre, le seul endroit de ma maison qui m'accepte comme je suis. Ma mère me donne souvent l'autorisation de monter, elle me connait par coeur et sait qu'après un bon moment de socialisation mon cerveau se met à surchauffer et je m'expose à une migraine.
Je me jette donc sur mon portable que je n'avais pas vérifier depuis le fameux acte de Gabriel de cet après-midi et je constate que Joy s'est également abonnée à mon compte. Je capture la notification le plus rapidement possible, toujours la bouche entre-ouverte de surprise, et j'envoie la preuve de mon bonheur momentané à Gabriel qui réagit avec joie, évidemment. Il a même rajouté que « ce début d'histoire d'amour est grâce à moi ».
« Je peux entrer? »
Mon moment de jubilation intérieur se referme d'un seul coup lorsque le visage d'Antoine apparait dans l'embrasure de ma porte.
« Tu veux quoi? »
« Laisse-moi entrer s'il te plait. »
Antoine n'a jamais eu cette habitude de venir discuter avec moi. Nous avions toujours préféré réciproquement que le plus intelligent serait de garder cette certaine distance afin que la famille ne se doute de rien. Même si nous nous ressemblons probablement.
Je lève mon bras de manière désinvolte pour qu'il entre et il obéit. Il s'installe sur mes draps propres et me scrute pendant une dizaines de longues secondes.
« Je t'ai vu pleuré pendant la prière. Pourquoi ? »
« Mon moment d'incantation m'a énormément touché. »
Il rit sans pouvoir se retenir.
« Faux, tu ne pleures jamais. Encore moins pendant une prière. »
Je ne réponds pas, je ne me contente que d'un regard méprisant.
« Mar, je sais que nous sommes pareils. »
« Qu'est-ce-que tu me racontes encore ? »
« Je suis gay. »
Mon corps se détend instantanément en plus de me relever d'un seul coup la main sur la bouche. C'est trop pour une seule famille catholique d'avoir deux enfants gays. Je ne me retiens pas de lui prendre la main en souriant. Il ne sourit pas forcement, il baisse simplement les yeux vers ma belle couverture et ne bronche pas. Antoine n'est pas un humain comme les autres. Ses traumatismes sont profonds, bien plus que les miens et bien plus importants. Son besoin de constamment mentir sur qui il est, est devenu dangereux et presque maladif. Il se perd tout seul, depuis son plus jeune âge. Nous nous ressemblons beaucoup dans nos aspirations mais pas tant que ça dans le physique. La seule ressemblance serait la souffrance qui ressort sous nos yeux clairs, des cernes noires et creuses. Antoine a la chevelure très sombre et très bouclée. Son visage m'a toujours fait penser à un visage sur une peinture de cubisme : désordonné, démesuré... Chacun des éléments de son visage ont une forme étrange, des lèvres extrêmement pulpeuses, des sourcils touffus, des yeux larges et tombants, mais des joues creusées et un nez pointu et fin. Il est étrangement beau mais très mystérieux dans son comportement insensé et loufoque, mais c'est ce qui le rend doublement interessant. Jamais je n'aurai cru pouvoir discuter normalement avec quelqu'un de ma famille, partager une souffrance, se relever ensemble. Le plaisir s'empare de moi.
« Moi aussi Antoine. »
« Je sais. »
Il se jette sur moi comme si il avait suivi et écouté la petite voix dans sa tête. Il en avait besoin. Je le ressens au plus profond de moi. Je pense que j'en avais besoin aussi. Le câlin peut parfois devenir quelque chose de tellement fort que ce ne sont plus les deux corps qui s'embrassent, mais les deux âmes. Nos ondes se lient et se connectent entre elles pour nous faire ressentir le plus de calme possible. Je me sens en sécurité, rassurée. Je ne serai jamais seule. Je ne sais jamais si ce genre de situation est un appel à la foi, mais c'est comme ça que je gère ma religion, grâce aux signes de l'univers qui viennent me sauver après des moments de souffrance purs.
Antoine finit finalement par m'expliquer comment il s'en est rendu compte. Le mensonge faisant parti de lui, il se mentait à lui même en se voyant hétérosexuel. L'illusion l'avait emparé jusqu'à ce qu'un acte encore plus intense que sa psychologie vienne tout basculé, la sensualité.
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JOY
Teen FictionJe ne désire que le corps des femmes, mais cette ambition de cacher mon homosexualité risque de ruiner la vie et l'esprit d'une pauvre âme innocente. EN PLEIN CORRECTION. (je l'ai écrite jeune alors j'essaye de l'améliorer comme je peux...)