Chapitre 44: Inconnu

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La grande famille mangeait ensemble autour de la table. On discutait, on rigolait, il y a même eu une chanson que les enfants et les adultes se sont mis à chanter en chœur ; ils frappaient des mains, tout contents et joyeux, avant qu'une dame apporte une marmite de soupe qu'elle posa sur la table. Mais tout fut interrompu lorsqu'un vrombissement de plus en plus audible vienne casser l'ambiance festive.

Les vibrations remontaient jusque dans la table ; l'eau à l'intérieur des verres ondulait, tout comme la soupe dans la marmite. A ce moment-là, tout le monde se mit à chercher de tous les côtés, tournant la tête de gauche à droite, comme pour comprendre ce qui se passait. Ce n'est que lorsque les sirènes de la ville se sont mises à hurler qu'ils comprirent que, ce qu'ils redoutaient tant, était en train de se passer. Ils assistaient à un nouvel évènement de la guerre déclarée par les allemands il y a maintenant un an.

Tandis que les enfants se dirigèrent vers les fenêtres pour observer la situation, les adultes les attrapèrent avant de les entrainer hors de la pièce. Ils éteignaient toutes les lumières sur leur passage, afin de plonger l'immense demeure dans le noir, avec pour seule clarté une faible lueur provenant de la lune, qui, comme par prudence et sagesse, semblait s'éloigner de cette horreur.

Pendant que le premier groupe commençait à sortir du manoir, un deuxième groupe qui provenait des chambres situées à l'étage s'empressa de descendre les larges escaliers. Une grande femme blonde s'empressa de monter les marches, en contre sens des tas d'enfants.

— Que fais-tu ? cria un homme resté en bas en s'adressant à la femme, comme pour l'empêcher de s'engager dans le sauvetage.

— Je vais chercher les derniers ! Laisse-moi faire !

Alors que l'homme s'approchait des escaliers pour aller la chercher, elle reprit d'un ton plus sec :

— Ne viens pas, protège les autres !

On commençait à entendre les immenses bêtes de métal percer le ciel ; l'homme regarda une dernière fois la femme, il savait qu'il ne la reverrait jamais. Il était trop tard. « Allez-y ! Allez-y ! » Criait-il aux jeunes, qui descendaient toujours les escaliers, en indiquant le jardin.

Il sortait sur le perron, puis il se mit à s'éloigner de la bâtisse en marchant doucement, comme s'il ne voulait pas partir. Il était au milieu des enfants (et des quelques adultes) qui courraient ; ils criaient tous de panique et de peur. Les plus petits montaient sur les plus grands qui les amenaient plus loin, dans le jardin devant la maison, vers les entrées des abris sous-terrain.

Un adolescent qui devait avoir dix-huit ans, portant lui aussi un petit, passa devant l'homme en lui adressant quelques mots de courage : « Allons-y monsieur, nous y sommes presque ! ». L'homme laissa un petit sourire forcé sur son visage avant de redevenir peureux à l'idée de tout perdre, dont sa vie.

Alors que le garçon s'éloignait déjà de plusieurs mètres, les avions allemands apparaissaient au-dessus de la ville. Ils déferlèrent très rapidement, l'homme se mit enfin à courir, regardant les corbeaux noirs métalliques déchirer le ciel.

Trop tard.

Des dizaines d'obus venaient d'être lâchés et plongeaient à présent sur la ville et ses alentours.

Ils s'encrèrent dans le sol devant l'homme, dans les abris souterrains encore ouverts. A peine les victimes eurent le temps de réagir que les détonations éclatèrent, laissant dans un bruit assourdissant des flammes surgir de nulle part.

Le sol tremblait, refermant sur lui-même les corps des êtres qui venaient de périr alors même qu'ils avaient tenté de se protéger ; l'adolescent qui avait redonné force à l'homme ne revint jamais et le petit qu'il portait non plus.

L'homme, choqué, encore assez loin du lieu de choc se retourna vers le manoir pour fuir d'éventuelles nouvelles bombes. Mais, aussitôt qu'il eut retrouvé sa route, la demeure explosa à son tour devant ses yeux ; emportant tous ceux qui n'avaient pas encore quitté les lieux.

Alors que les avions s'éloignèrent, les poussières retombaient sur les flammes qu'occupaient à présent les débris. Les corps des blessés, piégés dans les flammes, furent brûlés, de la même sorte que tous les cadavres. C'est ainsi que l'homme se retrouva seul, debout au milieu des zones qui venaient d'être détruites.

Cet homme était Rosenfeld. On venait de lui retirer ce qu'il avait construit ; ceux qu'il avait aidé, hébergé et – jusqu'à présent - protégé. Il s'écroula sur l'herbe puis pleura jusqu'à ce qu'une idée noire ne s'empare de son esprit : il allait se venger. Son corps tout entier était prêt à obéir à ce désir qui, maintenant, était pour lui une tâche presque vitale à accomplir.

On sut quelques jours plus tard que son enfant, Maurice, était encore en vie. En effet, il était parti en voyage scolaire quelques jours lors du bombardement mené par les allemands et il avait ainsi pu échapper au drame.

Ils se reconstruire tous les deux, Rosenfeld et son fils, dans une maison qu'ils possédaient mais qui demandait beaucoup de travaux en matière de rénovation, car personne n'y était venu depuis bien des années.

A côté de tout ça, Rosenfeld changeait petit à petit : il se préparait à accomplir ses actes. Ce n'est qu'après la guerre qu'il commença réellement sa vengeance injuste, et il ne s'arrêta plus jamais.

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