Thomas est bien silencieux, il n'a pas dis un mot de tout le trajet, ni à notre arrivée au restaurant, ni quand Anna est venue à table pour dîner, et je déteste ça. J'avoue ne pas beaucoup parler, moi non-plus, je n'y arrive pas. Daniel ne cesse de me tourmenter, je le comprends maintenant. Il est toujours présent, en moi, et je déteste sa détresse... j'en souffre.
- Comment trouves-tu le poisson, Thomas ? C'est délicieux, n'est-ce pas, demande Mia, le gamin hausse les épaules.
- Celui de maman est mieux, répond-il et je souris, sachant qu'il dit vrai, j'aimerais tant le regoutter.
- Thomas, gronde sa mère sans attendre.
Sa mère ?
- Le petit a tout à fait raison, le défend Malia, je n'ai jamais mangé du poisson comme le vôtre, Anna. Et il n'est pas aussi cher !
- Tu serais étonnée de savoir que les prix font que la clientèle soit aussi dense, ma belle, dis-je en lui faisant un clin d'œil, et Thomas me foudroie des yeux.
- Oh, vous les riches, vous pensez toujours que la qualité équivaux au prix, mais c'est faux !
- Malia, s'indigne maman.
Oui, ma maman.
Je ris, plus serein et détendu qu'à notre arrivée. Malia explique à maman que j'ai de l'humour, mais Thomas ne cesse de me dévisager. Quand les deux femmes s'éclipsent aux toilettes, chose que Mia à fait intentionnellement, j'en suis sûr, la tension remonte crescendo, et mon malaise revient face à un petit garçon plein de rancune.
- Elle te plaît, c'est ça ? commence-t-il, furieux, et il ne le cache pas. Pourquoi tu ne la laisse pas tranquille, hein ? Malia était l'amoureuse de mon frère ! Et toi, tu veux la séduire pour nous la prendre.
- Vous la prendre, m'indigné-je, contenant mon envie de lui rappeler que Malia n'était ma petite amie que dans mes fantasmes. Thomas, je ne veux te prendre personne.
- Tu mens, grogne-t-il, presque tremblant. Tu as dis que tu étais l'ami de Joshua, mais je sais que c'est faux ! Tu ne cesses de tourner autour de nous, autour de Mia, pourquoi ? Tu étais qui pour mon frère ? Qu'est-ce que tu nous veux ? Pourquoi tu agis comme lui ? Ne fais pas ça, Daniel, ne l'imite pas, je déteste ça... Ne le fais plus.
Sa voix se perd, tremble, quelques larmes lui échappent, mais il persiste à me dévisager. Thomas pleure en silence, il souffre sans se faire entendre, et c'est ça que je déteste, moi. Je pose mon couvert, inspire pour calmer la douleur, mais aussi l'envie de tout lui avouer pour soulager sa perte. Malheureusement, ça ne fera qu'accroître ma lâcheté à ses yeux.
- Thomas, je n'étais pas l'ami de ton frère, tu as raison, mais je le connais mieux que personne, soufflé-je, il redresse la tête pour me défier de poursuivre. Je sais que tu passais des heures à le regarder dessiner. Je sais que tu pleurais quand tu devais aller chez ton père. Je sais que tu fouillais sa chambre en son absence. Je sais que tu connaissais ses quotidiens, et ses mensonges, mais tu as feins le contraire pour ne pas éveiller sa peine. Tu as fais en sorte qu'il reste ton modèle...
- Il ne l'est plus, crache-t-il, mon cœur rate un douloureux battement. Joshua m'a abandonné, et maman aussi. Je le déteste pour ça... Dis-le lui.
Dis-le-lui ? Ce regard accusateur, cette expression me glace le sang, car Thomas a toujours tout deviné à l'avance. Il a su. Se doute-t-il que mon âme habite ce corps ? C'est pour ça qu'il me déteste autant ? Il m'en veut d'avoir choisi la mort à une vie à ses côtés... Et il a raison. Je suis minable, le pitoyable petit Joshua, et ça sera toujours le cas, peu importe le corps qui me porte.

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Seconde Chance
RomanceLa mort est une fin. On n'a plus la possibilité d'exprimer les non-dits trop longtemps refoulés, on ne peut plus s'excuser de ses erreurs, on perd tout ce qui nous reste d'occasion d'aimer encore un peu. Il est trop tard. Je suis arrivé trop tard :...