Chapitre 1: Le jour maudit

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Cali

Je termine avec ma dernière cliente et ensuite je ferme la boutique. Je n'en peux plus !

Le regard d'Inès me met mal à l'aise. Le soutenir m'est de plus en plus insupportable, c'est bien trop dur. J'essaie de masquer mon mal être derrière mon sourire de façade mais c'est peine perdue, elle est dotée d'un radar à emmerdes.

— Ça va ma puce ? demande-t-elle, inquiète, en posant une main réconfortante sur mon épaule.

Elle me sonde, braque ses prunelles de jade sur moi et tente de détecter le moindre signe qui me trahirait.

— Tout va bien, c'est juste un peu de fatigue. J'ai dû installer la nouvelle collection prêt-à-porter durant le déplacement de Joye, ça doit être le contrecoup, dis-je en me dirigeant vers la caisse pour me soustraire à son inspection.

— Ok, si tu le dis ! Tu vas pouvoir profiter de ton week-end.

— Ça, c'est moins sûr... ma blonde devrait rentrer dune minute à l'autre. Tu la connais, elle va vouloir faire la fête.

Inès éclate de rire, il faut dire que Joye est une pile électrique, incapable de rester en place plus de cinq minutes.

Je me rappellerai toujours la première fois où j'ai vu Inès. D'une beauté rare et d'une classe digne de Grâce Kelly, elle était venue par curiosité, lors de notre premier jour d'ouverture. Ses grands yeux verts m'ont subjugué à la seconde où elle les a posés sur moi. Inès est une de ces personnes dont l'aura irradie autour d'elle. Elle vous réconforte et vous donne confiance en un instant. Le courant est immédiatement passé entre nous et nous avons été « adopté » par cette quinquagénaire qui nous a pris sous son aile. Moi, la sauvage qui écarte tous ceux qui tentent de m'approcher, j'ai succombé à cette mère de substitution.

— Vous allez encore tous les faire tomber comme des mouches.

— Ils sont tellement prévisibles ! Un joli sourire, tu dévoiles un peu tes courbes et hop, le tour est joué. C'est même pas drôle, ponctué-je d'un clin d'oeil pour donner le change.

Si elle savait à quel point la plupart des hommes sont devenus insipides pour moi. Un produit de consommation pour assouvir un besoin mécanique. Au-delà, ils comprennent très vite qu'il ne faut rien attendre de moi. Un accord tacite qui leur convient en grande partie... aucune attache, aucun engagement qui m'enferme dans une relation de toute manière vouée à l'échec.

Je prends sur moi pour adresser un sourire radieux à Inès, apaisant aussitôt son inquiétude. On n'en a jamais parlé, par pudeur je pense, mais elle a détecté en moi cette faille que je cherche continuellement à cacher. Un lien fort s'est créé entre nous au fil du temps mais pas suffisamment pour lui parler de ce qui me hante.

Ces dernières années, je suis passée maître dans l'art de la dissimulation. Personne ne peut soupçonner ce qui gronde en moi. Personne n'imagine la fureur qui me dévore et qui m'oppresse jusqu'à m'en faire suffoquer. La seule qui connait mes idées noires, c'est Joye. Si elle a tenu à rentrer aujourd'hui, ce n'est pas pour rien. Elle sait pertinemment que je suis capable de faire une connerie, peu importe laquelle...

Je veux juste que cette journée s'arrête !

— Plains-toi ! Tu verras quand tu auras mon âge...

J'encaisse ses articles avec un sourire en coin, tout en me remémorant le nombre d'hommes qui lui courent après. Elle a l'art et la manière de les attirer mais comme elle me le répète souvent « Il faut toujours faire courir un homme, la séduction n'est pas un sprint mais un marathon. Seuls les plus intéressants passeront la ligne d'arrivée, les autres n'en valent pas la peine ». Elle n'a pas tort mais encore faut-il qu'un homme me donne l'envie de jouer à ce jeu.

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