Chapitre 6 : J'avance

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Photo : Joye

—    Il n’y a plus rien à descendre les filles ? demande Ruben sur le pas de porte.

J’observe autour de moi si je n’ai rien oublié dans le salon.  Joye débarque avec un dernier carton en évitant mon regard.

—    Il restait celui-ci dans ma chambre, dit-elle d’une voix chevrotante.

Mon beau brun me jette un coup d’œil un peu inquiet avant de repartir. Lorsqu’elle revient sur ses pas, la tête baissée, je l’intercepte. Elle doit me dire tout ce qu’elle a sur le cœur. C’est en relevant son visage que je remarque ses yeux rougis par les pleurs.

—    Ma bichette, viens…

J’ouvre en grand mes bras et elle ne se fait pas prier pour s’y loger. Blottie contre elle, l’estomac noué, je retiens mes larmes tandis qu'elle laisse couler les siennes. Je savais que cette journée allait être chargée en émotions mais j’étais loin de penser qu’elle craquerait la première.

—  On en a déjà parlé ma chérie. Tu m’as toi-même poussée à couper le « cordon », murmuré-je en lui caressant le dos.

—    Oui mais… je réalise seulement tout ce que va impliquer ton départ. C’était encore loin pour moi. Je ne sais pas comment l’expliquer.

—  T’es pas la seule, pour moi aussi c’est difficile. J’arrive pas à m’imaginer seule, sans toi, ce soir.
Un silence réconfortant s’impose, nous permettant de profiter d’un dernier moment rien qu’à nous. 

—    Ça fait tellement longtemps…

—   Je sais...

Ma voix s’étrangle sous le coup de l’émotion. Il me faut quelques secondes avant d'arriver à reprendre la parole.

—   Dis-toi qu’on doit affronter cette nouvelle étape toutes les deux.

—  Comment je vais faire sans toi ? ajoute-t-elle en me serrant plus fort.

—    C’est plutôt l’inverse, tu ne crois pas ?

Je peux sentir son sourire se dessiner quand elle me répond.

—    C’est vrai. Je suis unique !

J’éclate de rire à son affirmation et reçois dans la foulée un coup à l’arrière de la tête.

—    Ok ! Ok ! C’est vrai, tu es MON indispensable. T’es contente ?

—   Enfin ! clame-t-elle à m’en péter les tympans.

Elle relève la tête, essuie ses larmes avant de me fixer droit dans les yeux.

⸺ Il en a fallu du temps pour te faire cracher le morceau.

Faire des fleurs n’est pas vraiment mon style et Joye s’amuse à me titiller sur le sujet depuis qu’on a emménagé ensemble.

Émue, je repense à ces dernières années vécues ensemble, aux raisons qui nous y ont amené. Tout me revient par flash. Le départ précipité de Paris. Joye amassant mes fringues dans la valise et moi recroquevillée dans un coin de la chambre. Ses coups de gueules quand j’étais plus bas que terre et que je ne voulais rien entendre. Oh ça oui !  Il y en a eu et pas qu’un peu. Sans relâche, elle m’a forcée à me lever chaque matin alors que je n’aspirais qu’à rester seule dans le noir. Et puis, il y a eu toutes ces épreuves qu’elle a surmontées alors qu’on n’avait rien, qu’on ne connaissait personne dans la région et que je n'étais qu'une épave. Il y a eu les pleurs accompagnés de cargaisons de mouchoirs et les kilos de pots de glace qui allaient avec. On a de quoi être fière de tout ce qu’on a accompli en si peu de temps. Mais ce qui reste gravé en moi, ce qui m’a permis de garder la tête hors de l’eau et de ne pas sombrer plus dans ma dépression, ce sont nos fous rires et notre complicité. Joye m’a insufflé jour après jour la vision d'une vie meilleure en apaisant comme elle le pouvait mes démons.   

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