Chapitre 38 : Parle-moi d'elle...

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Cali

La nuit commence à tomber lorsque Fred se gare face à mon immeuble. Je n’ai aucune envie de monter. À l’heure qu’il est, je ferais encore le pied de grue si les flics ne m’avaient pas mise dehors. J’aurais attendu la nuit entière s’il le fallait, rien que pour croiser Sandro quelques secondes. Un simple regard de lui m’aurait tellement rassuré.

Le cœur lourd, je récupère mon sac sur la plage arrière quand Fred m’interpelle d’une voix douce.

—Ça va Cali ?

Non ça ne va pas ! Je sens encore ses mains sur moi, sa respiration haletante siffler à mon oreille, son corps tendu contre le mien… j’ai envie de vomir dès que j’y pense mais à quoi bon lui en parler, ça ne fera que l’inquiéter davantage.

—Je vais essayer de me reposer, ça ira mieux demain. Merci pour tout ce que tu as fait…

Je saisis timidement sa main, ses doigts se resserrent autour des miens sous son regard bienveillant. Ma gorge se serre face à cet homme aux tempes grisonnantes, à l’abnégation démesurée. On ne se connait que depuis quelques heures et pourtant il n’a pas hésité un seul instant à me venir en aide. Il est resté près de moi à me réconforter, à écouter mes maux et mes silences dans un calme apparent. Un calme que je lui envie et qui me rappelle tant mon père. Il émane de lui la même sérénité qui réussissait à m’apaiser durant mon enfance. Malgré le chaos, il a gardé la tête froide, ne laissant aucune place à la colère mais ce soir, c’est moi qui n’arrive pas à contenir la mienne. La haine me bouffe de l’intérieur depuis que le nom de mon agresseur m’a été révélé. Je n’ai aucune envie que Fred en fasse les frais. Il n’est en aucun cas responsable de tout ce merdier.

—Mais je t’ai assez accaparé aujourd’hui… merci encore.

J’ouvre la portière prête à m’élancer mais à peine ai-je mis un pied dehors qu’il me retient par le bras. 

—Franchement, tu ne crois quand même pas que je vais te laisser seule ? Surtout avec ce connard en liberté et qui connait en plus ton adresse !

—Fred, ça va aller, je t’assure…

J’ai subi bien pire…

Je m’extirpe de la voiture, Fred en fait de même, bien décidé à me faire céder. Fébrile, les muscles endoloris, je me tiens à la carrosserie le temps que l’étourdissement se calme avant de jeter un coup d’œil autour de moi. La promenade est bondée par les badauds qui déambulent en cette fin de soirée, les sons électro pulsent sur le port, tout le monde s’amuse. Je n’ai pas le cœur à ça.   

J’arpente le trottoir, Fred à mes côtés poursuit sa discussion que je n’écoute que d’une oreille. Je me concentre autant que possible sur ce qui nous entoure, inspecte chaque voiture, chaque visage que je croise, la boule au ventre. La sensation d’être observée ne me quitte pas. Je le sens depuis que nous avons quitté le commissariat, pareil durant la halte de Fred au pub… Et si c’était lui ? Manu me surveille peut-être, se mêle à la foule, se cache en attendant de poursuivre ce qu’il a commencé. Ou alors je délire complètement et cette impression n’est due qu’à mon cerveau fatigué. Je deviens parano.

Nerveuse, j’entre dans le hall de l’immeuble sans me retourner. Je reprends mon souffle comme si ce seul espace me permettait d’être en sécurité.

—Cali, t’es à bout de nerfs, je le vois bien, poursuit Fred, inquiet en appelant l’ascenseur.

—Ça ira mieux quand je me serai enfermée chez Sandro. Retourne au pub, je peux me débrouiller toute seule.

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