— T’es vraiment débile ma pauvre fille ! Débile !!!
Je rage depuis une vingtaine de minutes dans la salle de bain avec un carton sous le bras. Manu ne devrait pas tarder à revenir et les placards sont encore blindés. Bonne à rien. La tête ailleurs, j’ai l’impression de faire du sur place. Un brun ténébreux accapare mon esprit et ne veut pas en sortir.
« Tu m’embrasseras, pas l’inverse ! »
Agacée, je récupère le reste des produits de beauté en repensant à la scène qui s’est déroulée plus tôt. Prise par surprise face à l’assurance de Sandro, aucun mot ni même un son n’est sorti de ma bouche. À l’autre bout du palier, fier de lui, il me lançait un clin d’œil en fermant sa porte et moi qu’est-ce que j’ai fait ? Rien ! Une plante verte, ni plus ni moins. Les neurones hors service, j’ai fait preuve d’une stupidité affligeante. Stupide, de ne pas avoir répliqué. Stupide, d’avoir songé à ce baiser et encore plus d’en avoir eu envie. Ça n’a duré que quelques secondes... juste une poignée de secondes durant laquelle j’ai hésité. Nos cœurs battants, nos souffles courts, en pleine confusion, nos lèvres étaient sur le point de s’effleurer. Est-ce que sans l’intervention de Manu, j’aurais repoussé Sandro ? Dans mon fort intérieur, je ne pense pas. Mais moi, aurais-je fait le dernier pas ? J’en doute…
— Bientôt fini ?
Je pousse un cri strident en lâchant le carton qui se fracasse sur le sol. Les flacons éparpillés autour de moi, le palpitant qui pulse à plein régime, je lève mes yeux noirs vers l’inconscient posté à l’entrée de la salle de bain.
— Vous êtes cinglé de débarquer comme ça ! J’ai failli faire une attaque.
— Détendez-vous… il n’y a pas mort d’homme ! Vous étiez dans la lune, je vous ai fait atterrir, balance Manu avec nonchalance. Je vous donne un coup de main...
— Non merci ! J’ai pas besoin d’aide, répliqué-je d’un ton catégorique le stoppant dans sa lancée.
Les révélations de Sandro à son sujet m’incitent à rester sur mes gardes. Sans parler de sa manière de me reluquer qui n’arrange rien à mon mauvais présentiment.
— Si vous préférez vous en occuper je ne suis pas contre, bien au contraire. Je vais gentiment patienter ici, ajoute-il d’un ton mielleux, tandis qu’il s’appuie contre l’encadrement de la porte en croisant les bras.
Accroupie, je ramasse à la hâte ce qui est tombé. Plus vite c’est bouclé, plus vite je me barre d’ici. Les bouteilles s’entrechoquent, brisent le silence pesant. J’ai la désagréable sensation d’être analysée comme un animal en cage. Chaque partie de mon corps est passée au crible, étudiée, évaluée par un fauve cherchant une stratégie d’attaque. L’idée de Sandro me laisse perplexe. Ce mec n’en a strictement rien à faire que je sois en couple ou non, à ses yeux je ne suis qu’une proie, les barrières n’existent pas pour lui. Déterminée à ne pas me laisser intimider, je me relève et plante mes billes noires dans les siennes. Ses iris incandescentes me déshabillent sans aucune gêne. Le masque tombe, laissant apparaitre la lubricité qu’il cachait au départ. S’il subsistait un doute à propos des accusations portées contre lui, je n’en ai plus aucun à présent.
Un rictus forcé sur mes lèvres, le carton placé devant moi en gage de bouclier, je m’arme de courage et m’avance vers la sortie. Lui montrer ma nervosité ne ferait qu’accroitre son sentiment de domination. Je ne lui donnerai pas ce plaisir.
À mon approche, Manu se redresse pour me bloquer le passage.
— Vous pouvez vous pousser ?
Les muscles crispés, je resserre ma prise en gardant mon sang froid tandis qu’il me toise avec arrogance sans bouger d’un pouce.
— Il reste une bouteille, pointe-t-il du doigt. Je l’aurais bien pris moi-même mais vous ne voulez pas de mon aide, je vous laisse donc la récupérer.
Son sourire moqueur me hérisse le poil. Cet abruti veut s’amuser avec moi mais il se trompe de cible s’il pense que je vais devenir son jouet.
Je vais te faire manger la bouteille du con !
Sandro me tire de mon délire contre mon tortionnaire en s’incrustant dans mon champ de vision. Manu plus intéressé par ma paire de seins, ne le remarque pas. Positionné derrière lui, le beau brun m’adresse un clin d’œil complice.
Manu jouait le mec sympa prêt à rendre service mais à présent c’est une toute autre facette qui fait surface. Rassuré par la présence de Sandro, je compte bien le montrer sous son vrai jour.
— Vous voulez bien me tenir le carton.
Il me scrute quelques instants puis subitement colle son corps contre le carton me faisant sursauter. Le regard salace, il m’oblige à reculer, glisse ses mains sur les miennes sans aucun scrupule avant d’agripper la boite.
— Si je peux rendre service à une si belle femme, c’est avec un grand plaisir, dit-il d’une voix libidineuse.
Je sers les dents, réfrène le dégout qu’il me provoque en me retenant de ne pas lui en coller une. Un coup d’œil furtif auprès de mon acolyte aux traits crispés. Je fais demi-tour, inspire profondément et effectue quelques pas chaloupés jusqu’à la baignoire. Penchée sensuellement afin d’attraper le shampooing, je vérifie sur ma droite et comme prévu, le crevard lorgne mes fesses avec avidité. Sandro attire mon attention en exécutant de grands gestes pour que je me baisse plus. Je fais tomber le flacon, me cambrant à mon maximum. La tête dans le fond de la baignoire, le postérieur exposé à la vue de tous, je bondis lorsqu’un bruit sourd résonne dans la pièce.
— Tu veux que je t’aide ?
En me relevant, je découvre Manu blanc comme un linceul, plaqué dos au mur et Sandro l’agrippant par le col. Je ne vois que leurs profils mais la hargne de Sandro s’écoule par tous les pores de sa peau, les muscles tendus de ses bras se dessinent pendant qu’il maintient une pression constante.
— Le cul de ma copine est à ton goût ? T’en as pris plein les yeux ou tu veux que je t’aide ?
— Sandro !!… C’est pas ce que tu crois. Je… enfin je… je donne un coup de main... se justifie-t-il en montrant ce qu’il porte, y’a rien de méchant à ça. Hein ?!
— Un coup de main ?
Manu ne cille pas une seconde, la défiance se lit sur son visage au point oú des gouttes de transpiration s’écoulent le long de ses joues creuses. Sandro, d’un calme à faire peur, resserre sa prise, appuie son poing sur sa trachée, arrachant à Manu un gémissement sourd.
— Parce que tu donnes des coups de main en matant ses fesses ? C’est une nouvelle technique ? Tu l’encourages mentalement en profitant de la vue plongeante. La prochaine étape c’est ta main au cul ! C’est ça ? tonne-t-il d’une voix menaçante.
— Non…. pas du… tout, réussit-il à prononcer difficilement alors que Sandro presse la base de son cou.
Je n’aime pas la tournure que ça prend.
— Sandro… je l’interpelle pour qu’il arrête.
Il détourne son attention, ancre ses iris aux miennes et la dureté qui s’y reflète me coupe le souffle. Son habituel azur a pris la teinte d’un orage d’été, aussi sombre qu’électrique, d’un bleu cobalt fascinant. Sa froideur s’efface à mesure que notre lien visuel se prolonge. Ses traits s’adoucissent, il lâche un soupire tout en libérant la gorge de Manu qui se met à tousser en reprenant son souffle.
— Je veux bien te laisser le bénéfice du doute cette fois-ci mais écoute très attentivement : la prochaine fois que je te surprends à baver encore sur ma femme, c’est moi qui vais t’aider. Je sais me montrer très attentionné moi aussi quand on touche à ce qui m’appartient. On est OK ?
— Je t’assure que je n’avais aucune mauvaise intention. Jamais je ne ferais ça à un pote, enfin tu me connais quand même.
Manu, mal à l’aise laisse échapper un rire nerveux.
— J’espère pour toi ! Si t’as besoin de quelque chose c’est à moi que tu viendras le demander dorénavant.
Il acquiesce d’un mouvement de tête, Sandro récupère le paquet pour le poser sur le meuble de la salle de bain. Manu quitte la pièce en me fusillant du regard. Il n’a pas répliqué une seule fois mais ses gestes nerveux et sa mâchoire contractée trahissent son énervement.
Sandro vient à ma rencontre, penche son visage vers le mien et murmure d’une voix douce que moi seule peut entendre.
— Ça va ? Il ne t’a rien fait avant que j’arrive ? s’assure-t-il en replaçant une mèche derrière mon oreille.
Je frissonne sous ses doigts. C’est bête, mais ce simple geste me réconforte au-delà de ce que j’aurais pu penser.
— Non, tout va bien. Je ne me laisse pas faire si facilement, qu’est-ce que tu crois ?
Il sourit face à mon aplomb.
— Viens, on va chez moi.
Je n’ai pas le temps de répondre qu’il prend le carton d’un côté et agrippe ma main de l’autre. Nos doigts s’entrelacent de façon si naturelle que mon trouble s’accroit d’autant plus. Ses prunelles ont repris la douceur de l’outremer. Une chaleur se loge au creux de ma poitrine et à cet instant précis, je me sens en sécurité et c’est tout ce qui m’importe.
Manu baisse la tête et se concentre sur son travail en nous voyant débarquer dans l’entrée. Sandro serre ma main contre lui lors de notre passage et nous quittons mon appartement pour pénétrer chez mon voisin.
La porte tout juste refermée, il me libère en laissant une sensation de vide. J’entre d’un pas hésitant dans ce que je pensais être une garçonnière où le désordre règne en maître. À ma grande surprise, je découvre un intérieur douillet, aux lignes épurées. Le carrelage de mon appartement est remplacé par un jonc de mer apportant une touche de chaleur. J'apprécie l’élégance du bois clair qui se mêle harmonieusement à la froideur de l’acier forgé. Ainsi que la blancheur des murs qui fait ressortir le cuir noir tout comme les coussins au toucher duveteux, aux tons bleu ciel et taupe. Je retrouve la même disposition des pièces à vivre et l’îlot central et les grandes baies vitrées qui m’avaient fait craquer.
— Il est vraiment taré ce mec.
Particulièrement remonté, Sandro dépose mon colis sur la table basse en fer. D’un geste vif, il replace ses cheveux en arrière puis reprend :
— J’avais entendu des rumeurs sur lui mais quand j’ai vu comment il te regardait… ce mec m’écœure… j’ai cru naïvement que lui parler de notre couple le freinerait mais j’étais loin du compte.
— Normalement, s’il a bien compris le message, il devrait se tenir à carreaux. Faut dire que tu ne l’as pas loupé. J’ai cru qu’il allait faire une syncope.
Je ne peux retenir mon éclat de rire en repensant à la tête qu'il faisait alors qu'il était maintenu. Sandro me suit de peu, l’atmosphère devient plus légère et ça nous fait un bien fou.
— Il avait besoin d’être remis à sa place ce con. J’étais certain qu’il ne resterait pas de marbre avec une telle cambrure, tu m’as facilité la tâche, ajoute-t-il d’un œil malicieux et appréciateur.
— Je constate qu’on avait la même idée.
— Il faut croire. Les grands esprits se rencontrent toujours… il existe tellement de manières différentes d’y parvenir.
Le sourire charmeur, il se délecte de l’ambiguïté qui plane entre nous. Les joues en teintées, je me détourne et m’aventure dans le salon jusqu’au canapé d’angle noir.
— Tu veux boire quelque chose ?
— Juste de l’eau, merci.
Sandro se dirige dans la cuisine. Je fais rapidement le tour du propriétaire jusqu’à ce qu’un grand cadre fixé au mur attire mon attention. Je m’approche, observe de plus près le ponton et la superbe plage aux allures paradisiaques. Les années ont patiné les lattes usées qui s’étirent jusqu’à l’horizon. Entourées d’une mer calme au bleu pur et intense, le contraste avec le bois flotté est saisissant, lui donnant toute sa splendeur. Mais ce qui me captive le plus c’est cette femme en robe blanche qui se trouve à l’extrémité. Dos à l’objectif, elle fait face à l’étendue d’eau, une brise caresse ses longs cheveux bruns qui flottent dans les airs, ainsi que le tissu vaporeux ondulant sur son corps. Le visage dirigé vers le ciel éclatant, elle écarte les bras tel un cygne prêt à prendre son envol. Elle est libre. Libre de s’évader. Libre de laisser éclater cette joie de vivre seule face à l’océan. Rien ne la retient, aucune chaîne n’entrave son désir. Ce cliché m’émeut particulièrement. J’aimerais être à sa place. J’aimerais avoir cette force, cette sérénité qu’elle dégage avec tant d’aisance au lieu de ce besoin constant de me protéger.
— Je ne me lasse pas de regarder cette photo depuis toutes ces années, murmure Sandro en me tendant mon verre.
— L’impression de liberté qui émane de cette photo est magnifique.
Le silence nous enveloppe. Je prends une gorgée d’eau tandis que Sandro reste braqué sur le cliché.
— Merci…
Sa voix n’est que murmure.
— C’est toi qui l’as pris ? demandé-je surprise.
— Oui… c’était sur une plage d’Andalousie, pas très loin de chez mes parents.
L’Andalousie…
Ma gorge se noue, je me concentre pour ne pas me laisser submerger par les souvenirs. Un détail me saute aux yeux. Une fleur aux longues pétales blanches est placée sur le côté, coincée juste au-dessus de son oreille. Je fais un pas en avant pour m’en assurer quand Sandro confirme mes doutes.
— C’est un lys dans ses cheveux… aussi beau et pur que celui gravé sur ta peau.
Le souffle coupé, je prends quelques secondes afin de ne pas laisser éclater la tempête qui gronde en moi avant d’enchaîner d’une voix fébrile :
— Tu connais cette femme ?
Je tente de détourner la conversation, curieuse d’en apprendre plus au risque d’être rembarrée. Sandro n’a toujours pas détaché son regard de cette femme. L’expression de son visage change malgré le masque qu’il s’efforce de garder, l’émotion s’empare de lui. Je retrouve cette tristesse qui l’avait envahi hier et ce besoin permanent de contrôle qui me parle plus que de raison. Ce sentiment je le connais parfaitement, il vous donne l’impression d’être en équilibre permanent sur un fil. Un équilibre si précaire qu’un simple détail, un mot, un parfum, une musique peut vous faire basculer dans un précipice. Je ne peux m’empêcher d’admirer sa vulnérabilité et la beauté de ses traits alors qu’une douleur mélancolique dévoile ses blessures.
— Non… souffle-t-il d’un ton qui se veut assuré. Je suis seulement arrivé au bon moment pour immortaliser cet instant magique. Tu viens ! Je vais te montrer où est la salle de bain.
Il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas se rendre compte qu’il ment. Ma question ne l’aurait pas ébranlé s’il ne la connaissait pas. Il ne veut pas en parler et je le respecte. Dans le fond, qui suis-je pour lui poser cette question ? Moi, la reine de l’esquive, je passe mon temps à me cacher depuis si longtemps que j’en arrive à oublier celle que j’étais avant. Ma crédulité et mon allégresse ont laissé place à la méfiance et aux idées noires. Je sais à quel point devoir se livrer peut-être un déchirement... c’est se mettre à nu et se retrouver sans défense. Je serais très mal placée pour le blâmer étant donné que je n’y suis jamais arrivée moi-même.
Il me précède et nous empruntons le couloir qui dessert les chambres et la salle de bain.***************************
De retour avec un Manu comme vous l'adorez. J'ai bien vu qu'il était à votre goût celui-là 😂😂
À présent place à Sandro pour le découvrir dans son intimité et lever le voile encore un peu plus sur Cali...
RDV le 23 février pour le prochain chapitre.
Bon week-end à vous,
Bisous.
Tina 💋
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ÉVIDENCE
RomanceComment poursuivre sa vie quand en une fraction de seconde, l'enfer s'abat sur vous ? Cette question tourne en boucle dans ma tête depuis quatre ans. "Cali, tu dois laisser le temps faire son œuvre"... voilà ce que me répète Joye constamment. J'a...