Chapitre 33 : L'Embarcadère

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Cali

— Passez une bonne journée.

Ma cliente prend la direction de la sortie, le sac chargé d’articles en main et je vais aussitôt ranger les quelques vêtements que j’avais sorti à son attention.  

Tout en replaçant une veste dans le rayonnage, je n’arrive pas à me sortir de la tête le message de Ruben depuis que je l’ai reçu. Sandro était tellement épuisé suite à sa nuit blanche qu’il n’a pas remarqué mon état de confusion et s’est endormi très vite dès que je l’ai rejoint et dans un sens, ça m’a bien arrangé. Une heure après, j’ai pris soin de ne pas le réveiller avant de partir au boulot, je ne voulais surtout pas qu’il remarque mon embarras. Qu’est-ce que j’aurais répondu s’il avait lu le sms ? Comment aurait-il réagi après ce que j’avais osé balancer plus tôt ? Je ne pouvais pas lui dire que l’homme qu’il déteste venait de m’avouer que je lui manquais. Ça aurait été la goutte de trop, à n’en pas douter.

« Tu me manques… R »

« R » Pourquoi signer de son initiale et en utilisant un numéro inconnu ? Qu’est-ce qu’il lui prend de jouer les mecs mystérieux ? Quelque chose me chiffonne ! Je ne comprends pas son changement de cap. Il y a seulement quelques jours, il avait besoin de prendre le large et me demandait de respecter son choix et son silence. Même si ça m’a fait mal au cœur, je l’ai fait. Alors pourquoi redonner signe de vie si vite ?  Et que veut-il dire par « tu me manques » ? Je lui manque en tant qu’amie ou est-ce plus profond ?

Trop de questions tournent en boucle dans mon esprit, il me faut des réponses, je veux en avoir le cœur net. Je profite du calme dans le magasin pour filer dans notre coin détente en arrière-boutique où je récupère mon portable dans mon sac. Je prends quelques secondes, réfléchis à la manière d’engager la conversation et tape tout simplement :

« Ruben ? C’est bien toi ? »

Message expédié ! Je patiente le portable à la main et les yeux rivés sur l’écran dans l’espoir qu’il me réponde rapidement. Plus vite j’aurai mes explications, plus vite je serai soulagée mais le temps passe et parait interminable. Les secondes semblent durer des minutes et les minutes des heures qui s’allongent indéfiniment sans qu’il ne se manifeste.

Je jette un coup d’œil en boutique pour m’assurer que personne n’est entré et à mon retour, sa réponse est enfin arrivée.

« Coucou Morenita. Oui, c’est moi. Franchement tu me vexes, tu connais beaucoup d’autres R ? »

Je fouille en vitesse dans ma mémoire mais aucun autre prénom ne me revient et je réplique d’emblée pour éliminer les zones d’ombres.

« Pourquoi t’as un nouveau numéro ? »

« J’ai perdu mon tel au Red Line. Impossible de remettre la main dessus. »

Je commence à pianoter quelques mots quand il me renvoie dans la foulée.

« Enregistre ce numéro sous un autre nom, je préfère être discret »

« Pourquoi ? »

« Je ne tiens pas à t’attirer des problèmes »

« Mais de quels problèmes parles-tu ? »

J’ai droit à un silence radio qui éveille ma méfiance.

« Ça pue l’embrouille à plein nez. Comment être certaine que tu es celui que tu prétends ? »

« Carrément ! Tu ne me fais même pas confiance depuis tout ce temps ? »

Le temps n’est pas un gage de confiance, il le sait pourtant.

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