Chapitre 37 : Établir les faits

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Cali

Debout sur le trottoir depuis un temps infini, je fixe la grande bâtisse devant moi, sans trouver le courage d'avancer. Ma colère fait rage, ma peur déterre les souvenirs douloureux.

- Ça va aller, Cali ? me demande Fred en me soutenant par la taille.

Je lui réponds d'un hochement de tête, les mots ne sortent pas, je suis tétanisée. Impossible de détourner mon regard de l'entrée du commissariat.

- Je resterai à l'entrée à t'attendre, le temps que tu déposes plainte, ne t'inquiète pas je ne te laisserai pas toute seule.

S'il n'y avait que ça qui m'inquiétait ...

*****

Flashback 4 ans auparavant


Le corps meurtri, je reste recroquevillée sous le drap. Je souffre et les médicaments me soulagent à peine, m'évitent tout juste les crises d'hystérie. Le regard vide, je fixe la persienne fermée. L'obscurité m'apaise, dissimule mes ecchymoses, les bandages qui couvrent mes entailles mais certaines cicatrices ne se refermeront jamais...

Une main fraiche se pose sur ma joue, essuie mes larmes qui se déversent tel un torrent qui ne peut s'endiguer.

- La police vient d'arriver, murmure Joye entre deux sanglots.

Assise dans le fauteuil près du lit, elle pleure, culpabilise... je ne lui reproche rien. Elle ne pouvait pas savoir qu'Adam la suivrait.

On frappe à la porte. Joye me prend la main, serre mes doigts inertes. Je ne peux plus reculer. Ils sont là, je les entends parler avec le médecin qui tente de faire barrage pour la énième fois.

« On reviendra plus tard pour vous interroger... » m'avaient-ils prévenu, il y a deux ou trois jours, peut-être plus. En fait, je ne sais même plus. Le temps s'écoule et je ne parviens plus à réfléchir correctement. Je n'ai pas dit un mot depuis mon réveil, le film passe et repasse dans ma tête. Les images s'enchainent sans que je ne puisse les arrêter, ni les modifier. Rien ne sort à part mes cris quand la réalité me fracasse et devient insupportable.

J'aimerais m'endormir paisiblement, sortir de ce cauchemar mais à chaque fois que je ferme les paupières, la terreur m'assaille. Je le revois sur le pas de porte, le couteau à la main, totalement enragé. Il voulait nous tuer.

Il a gagné...

Je me tourne sur la gauche, dos à l'entrée. L'élancement dans mon abdomen est si violent qu'il me donne des hauts-le-cœur, me broie les tripes.

Je trésaille quand des grincements résonnent dans la chambre. Ils s'avancent, m'interpellent d'un fort accent espagnol. Je ne bouge pas, je ne veux pas affronter ce calvaire. Ces officiers ne pourront jamais comprendre que poser des mots sur cette abomination m'est insupportable. Prononcer à haute voix ce que j'ai enduré, revient à me confronter à l'indicible. Je n'en ai pas la force.

La lumière s'allume, m'aveugle, m'agresse. Joye essaye de me calmer. Les pas se rapprochent. Ma respiration s'accélère. Je m'affole. J'ai du mal à reprendre mon souffle. Prise dans mes délires, mon esprit retourne dans la maison familiale. Je cours, dévale les escaliers la peur au ventre. Adam me rattrape sur le palier, me plaque brutalement au mur. Il m'observe d'un regard haineux, injecté de sang, en m'étranglant avec un plaisir non dissimulé. Ma trachée se resserre, l'air me manque, il sourit.

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