Chapitre 22 : Libération

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Je fonce droit devant en avalant les kilomètres sur la route qui longe le front de mer. Je me dépêche, Ez et Ruben doivent déjà être sur place. Je coupe un virage serré, me penche sur le côté, le genou flirtant avec l'asphalte dans un équilibre précaire. Voilà ce dont j'ai besoin, me sentir comme sur un fil si mince que l'adrénaline parcoure mes veines et que je réussisse enfin à me vider la tête. Je me redresse, accélère, l'aiguille du compteur ne cesse de grimper. Il faudrait que je ralentisse... la vie peut basculer en une seconde. Je le sais pourtant...

Self-control... c'est l'un des premiers enseignements que l'on reçoit chez les sapeurs-pompiers. Que l'on parte sur une intervention périlleuse ou que l'on tente de sauver une vie, on doit garder le contrôle de la situation sans jamais céder à la panique.

Observer - Analyser - Décider - Agir

Un processus que j'ai mis un point d'honneur à appliquer surtout lorsque la vie des hommes sous votre commandement est entre vos mains. Je n'avais jamais perdu mon sang froid jusqu'à ce jour où tout a déraillé. J'étais loin d'imaginer à quel point l'affect peut nous faire perdre pied avant d'y être confronté...

À première vue, la garde se déroulait comme les autres. Ez faisait le pitre avec les gars en nettoyant les camions tandis qu'à l'étage, je les observais, le sourire aux lèvres, en m'occupant de la paperasse. Quand l'alarme a retenti, les automatismes ont pris le dessus. Les hommes courraient dans tous les sens et en quelques minutes nous étions sur le pied de guerre, près à partir. En décalant, une drôle d'impression m'a envahi. Impossible de me l'expliquer mais c'était là, une boule me serrait le bide au point de m'empêcher de respirer correctement. J'ai pris sur moi et je me suis me concentré sur l'intervention. Ce n'était pas le moment de flancher. Le silence régnait en maître dans le camion quand nous sommes arrivés sur les lieux de l'accident. Devant l'hécatombe, j'ai encouragé mes hommes face l'ampleur du travail, j'avais foi en eux, ils étaient entrainés et prêts à affronter ce chaos. Il fallait qu'on y arrive ! Alors que les premiers blessés tentaient de s'extraire des carcasses enchevêtrées, les gars s'activaient sous mes ordres. Il nous fallait sécuriser le site en attendant que d'autres équipes débarquent. Je slalomais entre les squelettes métalliques en donnant mes directives pour évacuer les victimes les unes après les autres. J'avançais sous les cris des personnes qui nous suppliaient de leur venir en aide mais je devais pallier aux cas les plus graves. C'était eux ma priorité. Quand soudain mon corps s'est vidé de son sang. La plaque d'immatriculation pendait sous mes yeux, oscillant dans un mouvement de balancier comme si elle cherchait à attirer mon attention. J'étais paralysé devant cet amas de tôle froissée. Voilà tout ce qu'il restait de notre véhicule. Figé face à mon pire cauchemar, j'entendais à peine qu'on m'interpellait lorsqu'on m'a secoué violemment. Traversé par une décharge électrique, j'ai balancé mon casque et foncé à corps perdu pour atteindre mon but. Je n'étais plus un capitaine, il n'y avait plus d'équipe, ni de victimes autour de moi, j'étais juste un homme qui voyait sa vie exploser sous ses yeux. Les règles que l'on m'avait enseignées se sont effondrées. J'ai perdu tout contrôle et la panique a pris le dessus sur tout le reste. Je hurlais son prénom en courant. Je hurlais à en perdre la voix jusqu'à ce qu'on me percute et qu'on me plaque au sol. Plus rien n'existait à part elle, je me débattais en criant de toutes mes forces dans l'espoir qu'elle me réponde. J'étais pétrifié en imaginant le pire et tout à coup, des cris ont jailli de la carcasse, mon cœur s'est arrêté et j'ai perdu l'esprit...

Pourquoi, ces flashs me reviennent ? Pourquoi j'ai la sensation de revivre cette horreur comme si j'y étais encore ? Je n'y pensais plus depuis un moment... Est-ce l'altercation avec Ruben qui a réveillé mes souvenirs ou la crainte qu'il ne soit arrivé quelque chose de grave à Cali ? Je n'en ai aucune idée mais plus je m'approche du point de rendez-vous et plus la boule logée au creux de mon ventre ne cesse de grossir comme un mauvais pressentiment... je n'avais pas ressenti cette sensation depuis longtemps.

ÉVIDENCE Où les histoires vivent. Découvrez maintenant