Chapitre 2

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Pétrifiée, Marie ne se retourna pas immédiatement. Lorsque la personne posa une main sur son épaule, elle sursauta et fit face à un homme qu'elle n'avait jamais vu. Celui-ci la dépassait d'au moins trente centimètres à tel point qu'elle devait lever la tête pour détailler son visage dur. Ses cheveux étaient d'un brun foncé identique à celui de l'écorce des arbres qui les entourait dans la pénombre. Le noir de ses yeux ressemblaient au charbon que Marie ramassait chaque matin dans l'âtre. A moins que l'obscurité ne les rendent plus noirs qu'ils ne l'étaient ? Elle en doutait fort. 

Une barbe naissante couvrait sa mâchoire cisaillée, lui donnant une allure très dure, voire terrifiante. Sa manière de se tenir debout inspirait la terreur et à la fois le respect. Son costume raffiné, qui avait dû coûter une somme astronomique, lui fit supposer qu'il était un important homme d'affaire. Mais qui pouvait bien vouloir se rendre dans cette forêt isolée ? S'était-il perdu ? En lui faisant face, n'importe qui plierait devant l'aura menaçante qu'il dégageait. Instinctivement, elle recula de quelques pas.

-Tout va bien, mademoiselle ? Vous avez mal ? La bûche vous est tombée sur le pied, n'est-ce pas ?

Sa voix rauque s'insinua en elle. Ses sourcils froncés accentuaient son aspect redoutable. A sa deuxième question, elle redescendit sur terre. Elle ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. La frustration la prit. Toujours ce réflexe de vouloir parler alors qu'elle ne le pouvait plus. Il avança vers elle, l'inquiétude se lisant dans ses yeux. Marie n'avait pas pensé à prendre son carnet, n'imaginant pas se retrouver face à ce colosse effrayant. Embêtée de son incompréhension, elle désigna sa gorge en rougissant devant son regard perçant.  

Son expression se figea. Il avait comprit.

-Oh, je vois. Excusez-moi. 

Il saisit les bûches de ses bras ainsi que celle qui était tombée à terre, ignorant ses gestes pour l'en empêcher.

-Je m'appelle Joris Salvorde. Je vais vous raccompagner à l'intérieur, il faut que je vois votre grand-père. Et vous êtes folle de tenter de porter cette charge toute seule, c'est de la folie. Avez-vous vu votre carrure ?

En traversant la cours, Joris détaillait la jeune femme à ses côtés. Ses cheveux noirs contrastaient superbement avec ses yeux clairs et son teint pâle. Elle était si petite, si frêle, si jeune... Si... envoûtante. Elle marchait à ses côtés, semblant chamboulée et perdue. Il ne s'attendait pas à ce que la petite sœur de l'ex-femme de Yahn Varleides soit aphasique. Totalement différente de sa sœur aînée Marie qui devait sans aucun doute être superficielle et manipulatrice. Le genre de femme à se faire de la chirurgie esthétique. Tout ce qu'il haïssait. Mais il n'était pas ici pour s'intéresser à la sœur de cette dernière. 

Marie le laissa entrer et lui désigna une chaise après qu'il ait déposé le bois prés de la cheminée pendant qu'elle allait chercher son grand-père. Elle le trouva dans son bureau et s'agita du mieux qu'elle put pour qu'il comprenne qu'ils avaient un invité inconnu. Des gestes qui ne signifiaient apparemment pas grand-chose.

-Bon, calme-toi Marie. Écris-moi ce que tu veux dire car je ne comprends rien, dit-il en lui tendant une feuille et un crayon.

"Un homme d'affaire : Joris Salvorde. Je ne le connais pas. Il est dans le salon", écrit-elle de son écriture fine.

-Allons bon. Je ne connais pas cet homme. Je n'ai même jamais entendu son nom. Allons voir ce qu'il nous veut.

Avec la difficulté de la vieillesse, il se releva et progressa lentement jusqu'au salon avec l'aide de sa petite-fille. A son arrivée, Joris se leva, le regard plus sévère que jamais. Il avait repris l'attitude professionnelle et insensible qu'il arborait pendant ses réunions de travail.Une haine semblait l'avoir animé.

-Bonsoir, monsieur Jenson. Je viens vous voir car il semblerait que Marie Jenson, votre petite-fille, habite ici. Je vous serais donc gré de l'appeler.

Marie sentit son cœur s'interrompre lorsqu'il prononça son nom. Ainsi, elle était celle qu'il cherchait. Mais pourquoi donc ? Elle n'avait jamais entendu parler de lui. Alors qu'elle s'apprêtait à saisir son carnet pour lui révéler qu'il s'agissait d'elle, Carl l'en empêcha d'un imperceptible mouvement.

-Et que lui voulez-vous, à Marie ? questionna-t-il, méfiant.

Joris croisa les bras, son regard était sombre.

-Il se trouve que son ex-mari m'a emprunté une importante somme d'argent qu'il ne m'a jamais rendu. Je viens donc demander à sa chère épouse où s'est volatilisé son mari.

Marie détourna les yeux. Son ton sarcastique en prononçant "chère épouse" ne lui avait pas échappé. Elle n'avait jamais été au courant des dettes de son mari mais cela ne l'étonnait guère. Cette conversation la touchait plus qu'elle ne l'aurait voulu et des souvenirs douloureux remontaient. Elle ne supportait plus son handicap. Si elle l'avait pu, elle crierait, hurlerait toute sa rage. A la place, elle saisit son carnet et écrit grossièrement.

"Yahn est mort ! Et je suis Marie."

Joris saisit le carnet, pensif. La surprise se lisait sur son visage.

-Marie, tu es folle ! Tu aurais dû te taire ! lui dit tout bas Carl.

Celle-ci secoua la tête. Elle n'était plus la femme de Yahn, jamais plus elle aurait à en subir les conséquences. Il était mort ! Mort et enterré ! Il n'avait plus d'emprise sur elle, ne pourrait plus la faire souffrir. Et peu importe si cet homme dont la dangerosité se sentait à cent kilomètres de lui voulait lui faire payer les dettes à sa place. Elle désirait que le monde entier le sache : Yahn n'était plus là. Le passé n'existait plus... Tout comme ses parents. Et elle pouvait enfin vivre sa vie. 

Prise par le flux d'émotions trop fortes qui s'abattaient sur elle, elle se précipita hors de la pièce. Les larmes dévalaient ses joues. 

Joris s'efforça de vite retrouver son attitude stoïque. Oui, sa déclaration l'avait désarçonné. La jeune femme était si jeune, si différente qu'il l'avait imaginé. Elle devait avoir vingt ans tout au plus, si bien qu'il l'avait immédiatement prise pour la jeune sœur de la femme qu'il recherchait. Que faisait-elle mariée aussi jeune ? Et avec un homme comme Yahn !? Qui était maintenant mort. Il tombait des nues. 

Il la regarda sortir de la pièce en larmes, tiraillée par son passé. Mais quel passé ? Aucun doute, elle cachait un secret. Un énorme secret. Voire même plusieurs. L'homme avait fait à la base le déplacement pour trouver le lieu où se cachait Yahn. Mais son objectif était en train de changer. Il voulait savoir. 

-Monsieur Jenson, je pars dans une semaine pour rentrer dans mon pays, en Grèce. Et j'emmène Marie.


Alors, avez-vous des remarques à faire, des propositions ?


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