Chapitre 29

12.9K 1K 8
                                        

Marie n'avait pas compris pourquoi Joris avait insisté pour regagner aussi vite la Grèce. Il avait bien sûr prétexté son travail, argument non négligeable, mais elle savait que ce n'était pas la véritable raison. Il lui avait dit plus tôt vouloir rester au moins deux semaines pour passer du temps avec sa sœur et ses neveux qu'il ne voyait que très rarement. Quel événement avait bien pu le faire changer d’avis ? Et puis elle aurait également apprécié passer plus de temps avec Wesley qu'elle retrouvait à peine.
Avant de repartir, elle avait cependant insisté pour revoir son grand-père qu'elle était cette fois-ci sûre de ne pas revoir avant de longs mois. Son sourire et sa chaleur lui manqueraient.

Mais à sa grande surprise, Carl, après lui avoir donnée de nombreuses recommandations, avait réclamé être seul avec Joris. Voilà une demi-heure qu'elle attendait seule dans le couloir bondé de l'hôpital. Que pouvaient-ils bien se raconter ?

Si ça n'était pas Carl qui avait demandé à discuter seul à seul avec lui, Joris l'aurait fait de lui-même. La curiosité l'assaillait bien trop pour qu'il puisse envisager rentrer en Grèce sans creuser davantage dans le passé de la jeune femme. Il savait à quel point il lui était difficile de parler de son mariage avec Yahn. Mais il avait besoin de savoir. Quitte à demander à son grand-père sans son accord.

-Alors, puis-je connaître l'interrogation qui taraude votre esprit ? demanda Carl, un petit sourire en coin.

Comment savait-il qu'il s'apprêtait à l’interroger ? Joris s’assit sur le tabouret, légèrement mal-à-l'aise quant au fait que l'homme l’ait déchiffré aussi facilement. Il n'avait pas l'habitude. Seuls Charlotte et ses proches amis y parvenaient. Pour les autres, il n'était qu'un milliardaire autoritaire et dénué d'émotions. Mais Marie aussi arrivait bien à cerner son esprit. Ce devait être de famille.

-Excusez-moi de vous demander quelque chose d'aussi personnel sur Marie mais il m'est impossible de continuer ainsi. La nuit de l'accident durant lequel elle a perdu la voix, que s'est-il passé exactement ? l'interrogea-t-il. Par quoi l'accident a-t-il été causé ? Était-ce… volontaire ?

-Si vous me posez la question, c'est que Marie ne vous a rien raconté d'elle-même, haussa-t-il un sourcil, suspicieux. À dire vrai, je ne sais pas grand-chose non plus, continua-t-il néanmoins. L'accident a eu lieu vers vingt-deux heures. Ils se rendaient en centre-ville mais j'ignore la raison exacte. Ils ont dévié de la route et percuté un arbre. Yahn est mort sur le coup et Marie s'en est tirée avec quelques écorchures mais un violent traumatisme crânien, ce qui a causé sa perte de voix. On m'a prévenu et je suis arrivé deux heures après qu'on l'ait emmenée à l'hôpital. Et elle est restée avec moi.

-Et ses parents ? Ont-ils jamais été au courant de l'accident ?

-Je ne pense pas. Et s'ils le sont, heureusement qu'ils ne sont jamais revenus car je ne les aurais pas très bien reçus.

Le regard du vieillard avait pris une telle teinte sombre que Joris renonça à insister. En effet, il valait mieux pour le couple de ne jamais revenir ou il se ferait un plaisir de les envoyer en prison. Ils avaient brisé leur fille unique.

Cependant, il lui manquait encore un point à éclaircir : l'accident était-il volontaire ? Ou peut-être y avait-il eu une dispute qui avait provoqué la déviation ? Mais Carl n'en savait visiblement pas plus.

-Merci d'avoir répondu à mes questions. Je suis ravi que vous alliez mieux, mais je vais demander à vous transférer dans un meilleur hôpital. Il n'est pas envisageable que votre état s'aggrave à cause de l'environnement miteux des chambres.

Il allait quitter la pièce mais Carl le retint.

-Aidez Marie. J'ai tout fait pour l'aider à oublier son enfance et son mariage mais ça n'a pas suffit. Et ça n'aurait jamais suffit car c'est d'un homme comme vous dont elle a besoin. Le simple fait que vous creusiez dans ses blessures me le prouve, dit-il les larmes aux yeux. Elle n'a jamais supporté de perdre la voix mais elle vous aime, ça saute aux yeux, alors rendez-la heureuse.

Il le lâcha avec un petit clin d'œil et Joris, troublé, acquiesça. Il lui semblait que Carl, par ces mots, venait d'approuver de manière symbolique leur relation, comme le ferait un père lorsqu'il remet sa fille à son mari pendant un mariage.

La nature curieuse de Marie avait pris le dessus. Timidement, elle s'était approchée de la porte. L’hôpital étant miteux, il y avait fort à parier que les murs ne sont pas insonorisés. Elle entendit en effet immédiatement la voix grave et reconnaissable de Joris. Ils parlaient d'elle. Et de l'accident.

Une multitude de souvenirs remonta dans son esprit. La dure poigne sur son bras pour la faire monter dans la voiture. Ses hurlements résonnaient encore dans ses oreilles. Elle s'était débattue mais les portières de la voiture demeuraient closes. Et puis il avait eu un moment d'inattention durant lequel la jeune femme était parvenue à extraire son bras de sa poigne. Elle avait vu l'arbre se rapprocher d'eux au ralenti. Et la douleur. Rien que la douleur et le vide. Le son des ambulances lui avait vrillé les tympans.

Et les mots qui refusaient de sortir de sa bouche, comme si elle n'avait pas assez de souffle pour prononcer le moindre son.

Les larmes dévalant ses joues, elle se recula de la porte de chambre, incapable d'écouter encore le récit de son grand-père.

Mais ce qui la terrifiait davantage était qu'elle avait maintenant la certitude que Joris creuserait dans son passé jusqu'à trouver la vérité. Car il savait que jamais elle ne pourrait avancer dans la vie sans l’extérioriser, même si cela relevait d'une véritable torture. Et Marie en était bien consciente également.

En entendant Joris pousser la porte, elle s'empressa de sécher ses larmes, espérant simplement que ses yeux ne seraient pas rougis. L'homme la rejoint et se figea en observant son visage. Il savait. Il savait qu'elle avait écouté à la porte. À son grand soulagement, il ne fit aucun commentaire.

Comment Joris aurait-il pu la blâmer d'écouter à la porte dans un moment pareil ? Il s'agissait d'elle, tout de même ! Lui non plus n'aurait pas apprécié qu'on parle derrière son dos. La jeune femme était visiblement choquée, et même si cela lui brisait le cœur, il ne pouvait l'interroger maintenant sur l'accident. Trop éprouvant…

En revanche, il devait pour l'instant garantir sa sécurité et, pour cela, l'éloigner le plus vite possible du mystérieux auteur de la menace restait la meilleure solution. Quitte à la décevoir en rentrant en Grèce plus tôt que prévu…

AttractionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant