Chapitre 28

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La fillette pleurait depuis une heure maintenant. Car elle ignorait ce que son père lui ferait quand il découvrirait qu'elle avait volé la pomme posée sur la table de la cuisine. Mais elle avait si faim ! Son ventre avait grondé toute la nuit, et la journée précédente également. Ce bruit lui devenait insupportable et elle souffrait. Lorsqu'elle s'était sentie partir dans les vapes, elle s'était finalement décidée à la manger, n'oubliant pas de vérifier qu'elle était seule. En deux minutes, il ne restait même plus le trognon. Elle aurait voulu prendre davantage le temps de savourer le goût sucré du fruit, mais la faim l'en avait empêchée. Et maintenant, elle était recroquevillée au fond du jardin, en pleurs et pleine de culpabilité. Qu'allait faire son père ? Elle avait bien une petite idée mais l'imaginer lui donnait la nausée. Marie ignorait comment il faisait, mais son père, à chaque fois qu'elle transgressait aux règles, l'apprenait et prenait plaisir à la punir. 

Une douleur atroce la fit gémir, avant qu'elle comprenne  qu'elle avait été provoquée par quelqu'un.

-Wesley, j'ai déjà mal. Pas besoin d'en rajouter, soupira-t-elle.

Le garçon d'environ neuf ans la rejoignait souvent en passant par un trou de la haie. Voisins, ils se connaissaient depuis toujours. Elle retira le doigt de son ami du bleu qui marquait son front. 

-Qu'est-ce qui se passe, cette fois ? demanda-t-il en s'asseyant à ses côtés.

-J'ai volé une pomme. Mon père va me tuer ! se remit-elle à pleurer.

Délicatement, il l'entoura de ses bras. Sa chaleur la réconfortait. Il détestait la voir pleurer. Le larmes ruinaient son beau visage. Autant que les bleus qui apparaissaient constamment sur son corps frêle d'enfant, puis qui disparaissaient, et qui réapparaissaient à nouveau à la manière d'une routine quotidienne. 

Il avait tenté de parler à ses parents concernant la maltraitance envers Marie. Mais personne ne l'avait cru. Et il n'avait jamais réussi à convaincre son amie d'en parler d'elle-même. Alors, la seule chose qu'il pouvait faire était d'être à ses côtés pour la soutenir, à chaque instant de sa misérable enfance. Il la réconfortait après les punitions qu'elle subissait, il lui amenait des livres et des cahiers d'exercices pour qu'elle puisse étudier. La nuit, il lui arrivait même de s'introduire dans sa chambre pour lui apporter de quoi s'alimenter. Car il était tout pour elle. Autant qu'elle était tout pour lui, son grand amour. 

Wesley attendit que ses sanglots s'apaisent avant de sortir une compresse d'arnica de sa poche. Délicatement, évitant au maximum de la faire souffrir, il soigna les contusions qui couvraient son visage, ses bras et ses jambes.

-Je te connais, Marie. Je sais que ce n'est pas un vol. C'était un besoin vital. Tu serais peut-être évanouie dans un coin de la maison, seule, si tu n'avais pas mangé. Et je doute que tes parents se seraient inquiétés. 

-Je serai dans ce même état comateux dans quelques heures, quand mon père rentrera du travail, objecta-t-elle.

-Moi, je suis heureux que tu ais volé cette pomme. N'oublie jamais de prendre soin de toi, ne te laisse pas abattre. 

Mais il ne pouvait pas la protéger de ses malheurs. Et cela le tuait à petit feu. Parfois, il pleurait sur son épaule alors qu'elle-même sanglotait. Son impuissance le pétrifiait.

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-Qui t'a permis de te servir  sur la table !? Depuis quand désobéis-tu ainsi !? criait son père au visage dur.

Marie peinait à respirer, tant la main serrait fort sa gorge. Dans ces moments de panique, son cœur battait beaucoup plus vite. Elle le sentait dans sa poitrine. Et son père devait également sentir son pouls contre la paume de sa main. Le cœur de sa fille. De son enfant. De la chaire de sa chaire. Comment pouvait-il faire ça en ayant des émotions ? Peut-être n'en avait-il pas. Quand il la lâcha, elle se recroquevilla contre le mur, l'unique position dans laquelle elle pouvait espérer se protéger efficacement. Elle tenta vainement de s'expliquer :

-J'avais trop faim ! Je n'ai pas mangé depuis deux jours !

-Silence ! hurla-t-il en lui assénant une claque d'une force monumentale. Ne t'avons-nous pas déjà dit que nous ne roulions pas sur l'or, en ce moment ? Tu n'es qu'une sale gosse ! Tu n'as pas besoin de manger autant qu'un adulte !

Marie n'était jamais allée à l'école mais son intelligence et les cours que lui fournissait Wesley étaient suffisants pour savoir que même une enfant devait manger pour survivre. Malgré sa position de faiblesse, la fureur monta en elle. De toute manière, si elle devait mourir de la main de son père, autant mourir après lui avoir dit la vérité.

-Commencez par arrêter d'organiser des festins pour la ville entière et de tout dilapider pour des jeux d'argent pour lesquels vous êtes lamentables, et peut-être que votre situation s'améliorera ! cria-t-elle le plus fort possible, c'est-à-dire pas plus fort qu'un murmure à cause de sa douleur dans la poitrine.

Ça n'était que des mots. Mais qui sonnaient comme une terrible insulte pour son père. 

-Petite ingrate ! Je te signale que nous t'acceptons dans notre demeure ! s'insurgea-t-il en la repoussant contre le sol froid.

Derrière lui, sa mère observait la scène, les bras croisés. Son visage ne trahissait aucune expression. Son père revint trente secondes seulement après son départ, à son grand désespoir. Sa respiration devint haletante alors qu'elle remarquait dans ses mains un plat de poulet fumant et dans l'autre un fouet. Son ventre gronda douloureusement tandis qu'il posait le plat à une quinzaine de centimètres d'elle. Mais il ne pouvait avoir posé ce met appétissant sans avoir une idée derrière la tête. Les minutes passaient. Une véritable torture. Son père l'observait, sans rien dire. 

Alors elle craqua et avança sa main. Pour recevoir une terrible lacération sur son dos. Son sang coula jusqu'au sol. Un coup. Sur ses cuisses. Deux coups. Sur son ventre. D'autres coups. Là où le sang ne coulait pas encore. 

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Un an plus tard. Marie pousse la porte de sa chambre. Une agitation sans nom régnait. La fillette comprit rapidement que ce qui aurait dû se passer il y a des années arrivait enfin. Ses parents avaient réussi à se mettre à dos la police et sans aucun doute quelques mafieux douteux. Dans dix minutes, la maison serait vide et elle devrait partir avec eux. Encore. Peut-être était-ce son unique chance de s'enfuir enfin ? Elle préférait largement être placée en famille d'accueil plutôt que de les subir encore. Alors discrètement, elle referma la porte. Et s'enfuie en courant vers le commissariat le plus proche. Ses poumons la brûlaient. La sueur coulait de son front. La porte vers la liberté. Il fallait qu'elle l'atteigne. Mais une voiture déboula. Son père la tenait fermement par le col.

Et loin, loin derrière, un petit garçon pleurait, avachi sur le sol, son amour perdu.

Ouf ! J'ai cru que la fin de ce chapitre n'arriverait jamais. Désolée pour cette mauvaise manipulation, j'ai accidentellement supprimé la moitié de mon chapitre après l'avoir publié (vous devez vous dire : mais quel boulet celle-ci ! Et je suis parfaitement d'accord.😅) et j'ai dû le réécrire. Bref... Un chapitre un peu spécial que je présente cette fois-ci ! Qu'en pensez-vous ? Je sais d'après les commentaires que vous ne vous attendiez pas à un ami d'enfance retrouvé. J'envisage toujours mes personnages comme un peu plus complexes que simplement gentils ou méchants. J'espère donc que ce chapitre vous permettra d'appréhender différemment Wesley.

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