Chapitre 4

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Joris ignorait lui-même pourquoi il était revenu deux jours plus tôt. Il avait passé les dernières heures à tenter de se persuader que Marie méritait ce qu'il allait lui faire subir. L'arracher à sa famille, ses amis. Une fortune cachée ? Il n'avait aucun moyen de le savoir mais il avait bien l'intention de lui faire cracher le morceau. 

Il l'observa en silence ramasser l'oisillon. Était-ce vraiment là le comportement d'une croqueuse de diamant ? Pourtant, sa première réaction en la voyant éternuer avait été de s'inquiéter. La jeune femme semblait si fragile... Elle sursauta en l'entendant puis secoua la tête négativement. Mais sur son visage, il n'y avait pas autant anxiété qu'il l'aurait imaginé. Ou elle cachait bien son jeu, ou son grand-père ne lui avait pas annoncé qu'elle devrait venir avec lui en Grèce pour rembourser ses dettes. Pourquoi cherchait-il tellement à la protéger ?

-Vous assumez toujours le travail de votre grand-père ? Puis-je en connaître la raison ?

Marie était désarçonnée par sa question. Elle ne s'attendait pas à le revoir aussi tôt ni même à ce qu'il ne lui parle pas directement des dettes à rembourser. Sur le coup, elle fut heureuse de ne pas disposer de papier ni de crayons car elle redoutait d'avoir à s'exprimer devant lui. L'homme la sondait de son regard perçant, comme s'il cherchait à déceler le moindre de ses secrets. Secrets qu'elle ne voulait pas dévoiler à un homme de de son genre. 

C'était sans compter qu'il était un homme d'affaire. Et qu'un homme d'affaire a toujours sur lui de quoi écrire. Elle saisit le calepin d'une main tremblante. 

"Avec l'âge, il a de plus en plus de mal à tout faire lui-même. Il me semble que c'est normal de l'aider."

Elle brandit le carnet, de la sueur froide coulant dans son dos.

-Tout le monde n'aurait pas ce réflexe. Ou vous êtes la gentillesse incarnée, ce dont je doute fort vu le genre d'homme avec lequel vous vous êtes mariée, ou vous aidez votre grand-père par culpabilité, débita-t-il en croisant les bras, attentif à la moindre des réactions de la jeune femme.

Marie fronça les sourcils, touchée en plein cœur par la dureté des paroles de Joris. Furieuse, elle lui arracha le carnet des mains et griffonna.

"Et en quoi ça peut vous intéresser ? Vous voulez uniquement votre argent, et vous l'aurez. Ce n'est pas parce que vous êtes impitoyable et cruel que tout le monde est comme vous ! Acquérez un cœur et on en reparle."

Joris la fixa du regard, à demi surpris par son impétuosité. La muette était moins inoffensive qu'il le pensait. Personne ne lui avait jamais fait la morale ou du moins un semblant de morale. Jusqu'où pouvait-elle aller ? S'engagea alors un duel de regard.

-Vous dites que vous allez me rembourser ?

"Jusqu'au dernier centime."

-Même cinquante mille euros ?

Marie tituba. Cinquante mille euros ? Comment Yahn avait-il pu dépenser une somme pareille ? Il était clair qu'elle ne pourrait pas rembourser, même avec toute une vie de sacrifice. Prise de vertige, elle se pinça l'arrête du nez dans l'espoir de retenir ses larmes. Joris lui attrapa le bras, de peur qu'elle ne s'écroule sous le choc. Son grand-père ne lui avait rien dit. 

-Vous ne me rembourserez pas. Donc vous allez venir à mes côtés en Grèce.

Elle leva des yeux ronds sur lui. Avait-elle bien entendu ?

-Je ne vous ferez pas travailler. Je prends juste une année de votre vie comme remboursement. Vous serez logée chez moi. Évitez juste de vouloir m'échapper car je pourrais me montrer sévère.

"Comment fera mon grand-père ? Il ne peut pas assumez son rôle de garde-forestier seul !"

-J'ai déjà engagé quelqu'un pour l'aider.

Il avait tout prévu. Mais elle ne pouvait pas partir ! Parce que... Parce que... C'était juste impensable !

"Et si je refuse ?"

-Je ne vous laisse pas le choix. Pourquoi ? Quelque chose ou quelqu'un vous retient ici ?

Le jeune femme baissa son regard bleu vers le sol, lui offrant la réponse qu'il attendait.

-Bien. C'est bien ce que je pensais. J'avais l'intention de rentrer dans cinq jours mais puisque vous êtes maintenant au courant, nous allons partir dans la soirée.

Marie secoua la tête, soudain paniquée. Elle venait tout juste d'apprendre qu'elle devrait passer un an dans la demeure d'un inconnu et il faudrait en plus qu'ils partent immédiatement ? Son souffle s'accéléra. Elle détestait l'idée de partir loin de son grand-père, loin de sa maison, loin de tout ce qu'elle avait déjà eu du mal à apprivoiser. Marie le vit froncer les sourcils et, dès lors, elle sut qu'elle ne pourrait jamais justifier ce sentiment qu'elle ne comprenait pas elle-même.

Joris vit la détresse de la jeune femme, comme dévorée par une peur grandissante. N'importe quelle autre femme aurait été ravie de pouvoir habiter avec un milliardaire pendant toute une année. Essentiellement pour lui extorquer de l'argent. Mais cette femme considérait ça comme la pire affliction existante. 

"Très bien mais je veux rendre visite à une amie avant de partir."

-D'accord. Dépêchez-vous d'aller préparer vos affaires. On décolle dans un quart d'heure.

Aussitôt, la jeune femme fila et Joris soupira. Yahn était un idiot. Il attendit près de la porte d'entrée en jetant un coup d'œil à sa montre et Carl vint à sa rencontre, rouge de fureur.

-Vous ne deviez revenir qu'au bout de la semaine ! J'aurais peut-être trouvé une autre solution ! s'exclama-t-il.

-Pourquoi vous cherchez tant à la protéger ? dit-il en ignorant sa précédente remarque. Marie a beau être aphasique, elle est majeure et responsable. On dirait que vous souhaitez la préserver. Vous la traitez comme une enfant.

-Je suis son grand-père. C'est normal que je veuille la protéger.

-Vous ne répondez pas à ma question. 

-Les habitants du village ne nous apprécient pas.

-Toujours pas.

Il soupira, ne désirant pas donner la vraie raison.

-Marie est fragilisée par de nombreux événements, dont beaucoup ne sont pas de sa faute... Vous constituez une épreuve dans sa vie et lui rappelez trop de mauvais souvenirs.  

-Quelles épreuves ? Quels souvenirs ?

-C'est à Marie de vous répondre... Elle est brisée, aussi bien physiquement que moralement. Puisque vous avez l'air particulièrement intéressé par elle, promettez-moi que vous l'aiderez à surmonter son passé.

Joris tiqua, plongé dans l'incompréhension.

-Qui vous dit que je suis intéressé par elle ? fronça-t-il les sourcils.

-Si vous n'étiez pas intéressé, vous auriez agi comme un créancier normal et réclamé l'argent quoiqu'il arrive. Sinon, pourquoi insister pour qu'elle vous accompagne ? 

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