Chapitre 21

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Joris avait mal au cœur de la voir partir. Son sac sur son épaule frêle, ses cheveux s'envolant par mèches sous l'impulsion du vent... Son regard et son doux sourire lui manquaient déjà. Mais il ne pouvait l'accompagner. Officiellement, ils n'étaient pas engagés. Ils n'étaient pas en couple, n'avaient jamais eu de relations sexuelles... Quel prétexte aurait-il pu prendre pour l'accompagner ? Qu'il ne pouvait plus se passer d'elle ? Elle avait avoué avoir du désir pour lui mais était-ce réellement de l'amour ? Alors il avait simplement affirmé qu'il ne pouvait quitter son travail. Absurde raison, bien entendu. Il le quittait tous les soirs plus tôt pour rentrer la voir. Les discussions qu'il entretenait avec elle étaient tellement brillante. Il devait l'avouer, il appréciait la taquiner. Et elle avait toujours une belle riposte en réserve. A première vue, personne n'aurait pu deviner son vif caractère. Elle l'avait fait rire, l'avait intrigué, ce qui n'arrivait plus depuis longtemps. L'engagement l'effrayait. Surtout avec Marie.

Marie observait le ciel d'un œil distrait. La couche nuageuse cachait désormais les beaux paysages grecs. En boucle, elle se repassait les adieux qui avaient eu lieu dix minutes plus tôt. Instinctivement, ils avaient mis de la distance entre eux. Pour quelle raison ? Elle l'ignorait elle-même. Peut-être avaient-ils chacun besoin de temps pour réfléchir à leur relations pour le moins ambiguë. Et l'accident de son grand-père avait fourni une excellente raison. Un instant, elle avait eu peur qu'il ne l'oblige à rester en Grèce, ce que leur contrat stipulait. Mais non, visiblement aussi inquiet qu'elle, il avait mis à sa disposition son jet privé, lui recommandant seulement de bien prendre d'elle. Quel flou, quel brouillard dans son esprit... Elle se passa la main sur le visage, angoissée à l'idée de découvrir l'état de Carl. 

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Il lui avait fallu attendre quelques jours avant que les médecins ne l'autorisent à rendre visite à Carl. Autant de temps nécessaire pour imaginer tous les pires scénarios. La main tremblante, elle poussa la porte de l'hôpital et la vision la terrifia. Son grand-père était allongé, semblant dormir. Des perfusions étaient reliées à son bras et son visage n'avait jamais été aussi pâle. Seule la machine marquant les battements de son cœur à intervalles réguliers la rassuraient. Silencieusement, elle s'assit sur le tabouret placé à côté du lit et saisit sa main. Difficile de supporter cette vue. Elle avait toujours vu son grand-père souriant et plein d'énergie. 

Ce furent ses sanglots qui réveillèrent le vieil homme. La stupéfaction de voir sa petite-fille chérie, à son chevet, laissa immédiatement place à la joie. Il l'avait quand même confiée à un inconnu ! Certes, ça n'avait pas été vraiment un choix mais l'inquiétude ne l'avait jamais quitté.

-Marie... souffla-t-il faiblement. Que fais-tu ici ? Monsieur Salvorde a oublié les dettes ? Ça ne fait que quelques mois que tu es partie... Te traite-t-il bien ?

La jeune femme sourit en entendant son ton chaleureux et en voyant ses yeux rieurs qui lui avaient tant manquée. Il s'inquiétait plus pour elle que pour son état de santé.

"Il m'a laissée rentrer pour te voir. Et Joris me traite très bien, il m'a même permis de reprendre la musique."

-C'est génial. Il t'offre la vie que je ne peux pas te donner...

"Ne dis pas ça, tu m'as tellement aidée après mon accident. Je commence à m'habituer à mon handicap."

Carl sourit sans rien rajouter. Il avait bien sûr remarqué que sa petite-fille était d'une maigreur effrayante, les cicatrices sur son corps. Mais Marie ne s'étant jamais confiée et ne l'ayant pas souhaité non plus, il avait rapidement compris que ce que Yahn lui avait fait subir était profondément ancré en elle. Il n'avait jamais insisté, de peur qu'elle se renferme plus qu'elle ne l'était déjà. Mais là, il la voyait souriante malgré l'angoisse dans son regard. La petite fille perdue avait laissé la place à une magnifique femme qui reprenait confiance en elle. 

"Comment te sens-tu ? Qu'est-ce qui s'est passé ?"

-Eh bien... Dans la nuit, il y a eu une forte tempête et une lourde branche est tombée sur le toit. J'avais peur qu'elle ne le casse alors j'ai voulu l'enlever. Mais j'ai glissé, expliqua-t-il. Heureusement que Marc et Valentin, les deux employés que Monsieur Salvorde m'a assigné pour m'aider dans mon travail et te remplacer, m'ont retrouvé. Je serais peut-être mort à l'heure qu'il est...

Chamboulée à l'évocation de sa mort, Marie se blottit contre lui.

-Et toi, en Grèce ? As-tu fait de belles rencontres ?

La jeune femme rougit : la première personne qui lui était venue à l'esprit était bien sûr Joris. Et il était plus qu'une belle rencontre. Il était un chamboulement dans sa vie. Son attitude suffit à Carl qui rit doucement. 

Sa fatigue était grande, vraiment grande. Les calmants que les infirmiers lui donnaient pour calmer ses douleurs l'endormaient. Il aurait tant aimé pouvoir parler davantage avec Marie qui était enfin de retour. Il n'eut pas à le lui dire, elle le remarqua toute seule. Rapidement, elle mit fin à leur échange et s'échappa de la chambre. Son grand-père semblait bien, il lui parlait, avait encore la force de sourire et de rire. Mais elle le savait aussi capable de donner le change. Alors, elle rechercha son médecin.

En temps normal, la lueur de gêne dans le regard de l'homme en s'apercevant de son mutisme l'aurait rendue bouleversée mais elle avait cette fois d'autres préoccupations.

"J'aimerais plus de précisions sur l'état de Carl Martin, mon grand-père."

-Oh, je vois... Est-ce que tes parents sont par ici ? J'aimerais les voir avant de t'en parler.

Elle fronça les sourcils. Le ton rassurant qu'il avait employé frustra autant Marie que le contenu de ses paroles. 

"Ce n'est pas parce que je suis muette que mon cerveau est sous-développé. Je m'étonne d'ailleurs que vous n'ayez pas appris le respect de la différence en fac de médecine. Donc merci de simplement répondre à ma question."

Si elle l'avait pu, son ton aurait été si froid qu'il se serait mordu les doigts de la traiter ainsi. Elle détestait les préjugés que l'on avait à propos de son handicap, la pitié qui brillait dans leurs yeux. Et plus que tout, elle se détestait d'être handicapée. Enfin, il lui répondit.

-Il réagit bien aux médicaments et les radios montrent qu'il n'y a pas d'aggravations. Rassurez-vous, les moments critiques sont passés.

Marie s'entendit souffler de soulagement. Il allait bien... Le médecin, extrêmement gêné de sa gaffe, lui adressa un sourire crispé et s'éloigna rapidement. Elle soupira, lasse de retrouver cette réaction qui rythmait son quotidien. Au moins, en Grèce, elle avait été traitée comme une humaine par Joris et Paula.

Un grand éclat de rire grave résonna derrière elle. 


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