Chapitre 5

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Joris devait admettre que l'homme avait raison. Cette femme l'intriguait et une force inconnue le poussait à la vouloir auprès de lui. Lui, l'homme insensible, froid et cruel qui éprouve des émotions. Impensable ! Il se détourna de Carl, incapable de faire face à cette révélation, et monta les escaliers. Le bois était tellement miteux qu'il se demanda s'il n'allait pas s'écrouler. Pourtant, cet aspect n'avaient pas eu l'air de déranger Marie. Étonnant qu'une jeune femme qui se soit mariée avec un homme comme Yahn supporte un tel taudis. 

Arrivé à l'étage, il se dirigea vers la première porte qu'il vit. Une touffe de cheveux blonds apparut à travers la porte entrouverte. La jeune femme courrait dans toute la chambre pour rassembler quelques affaires. Amusé de la voir s'agiter d'une telle façon, il entra silencieusement. Et un froid mordant lui attrapa le pied droit. 

-C'est la première fois que je vois une personne entreposer des bassines pleines d'eau en plein milieu de sa chambre.

Elle se retourna et observa la situation pendant quelques secondes avant de se fendre d'un sourire moqueur. A tâtons, elle chercha son carnet et son crayon posés sur son lit.

"J'y vois pourtant un grand intérêt. Je n'ai même plus besoin d'aller jusqu'au lavabo à l'extérieur pour faire ma toilette."

Marie attendait une réaction de sa part et ce fut un échec complet. Il croisa les bras, statique.

-Belle tentative d'humour. Ça ne me fait pas rire. Sérieusement, c'est quoi ces fuites dans le plafond ? Vous savez que vous pourriez attraper des maladies graves dans ce genre de chambre mal chauffée et humide ?  

La jeune femme fit un petit mouvement d'épaule et Joris fronça les sourcils. Elle se fichait d'attraper une maladie potentiellement mortelle ? Il secoua la tête.

-J'enverrai quelqu'un pour s'occuper de ces fuites. On y va maintenant. 

Sans qu'elle ne puisse protester, il lui prit le bras en faisant attention à ne pas lui faire mal. Son poignet était si fin qu'il craignait de le lui briser. Elle se débattit pour qu'il la lâche.

-Bon, que se passe-t-il encore !? demanda-t-il agacé. 

"On part vraiment tout de suite ?"

-Bien sûr, je dois assister à une importante réunion demain en Grèce. Pourquoi, il y a un problème ?

Elle secoua la tête, visiblement perturbée. La peur la saisissait à la gorge et descendait dans la poitrine. L'inconnu l'effrayait soudain démesurément. La dernière fois qu'elle avait dû faire face à un nouveau pays, une nouvelle maison, une nouvelle vie... -optionnellement un mari- , cela l'avait traumatisée. Son grand-père avait beau tenter de la faire sortir, de s'amuser, de profiter, elle n'en était plus capable. Elle travaillait, car se rendre utile était la seule chose qui lui restait. Et là, elle avait l'impression de se jeter dans la gueule du loup. Elle retint les larmes qui perlaient au coin de ses yeux et continua son chemin sous le regard intrigué de l'homme. Son équilibre se construisait petit à petit et une fois de plus, tout était à recommencer. Si tant est qu'elle y parvienne aux côtés de cet homme qui semblait froid et cynique. Mais elle n'avait pas le choix. Soit elle partait un an loin de son grand-père, de son amie, de sa bulle de confort, soit elle trouvait l'argent pour rembourser. 

Joris la guida jusqu'à une limousine noire, son sac serré contre sa poitrine. Ils s'assirent à l'arrière avec Carl et l'homme ordonna au chauffeur de démarrer. Le trajet jusqu'à la villa où habitait momentanément Ambre se passa en silence. Ambre était l'unique amie de Marie. Elles s'étaient rencontrées il y a à peine un mois mais une complicité était tout de suite née. Ambre est instable psychologiquement. Agressée durant son enfance et anéantie par la mort de ses parents, la jeune femme a développé de multiples peurs vis-à-vis de la société et du monde. Mais l'hôpital psychiatrique dans lequel elle est internée à proposé un programme qui consiste à dépayser les patients et c'est ainsi qu'un groupe est venu habiter en Bretagne pour plusieurs mois. Carl et Marie ont hébergé une nuit Ambre. Et, curieusement, la jeune femme s'est confiée à Marie, au grand bonheur de son médecin. Alors que tout le monde fuit son handicap, Ambre n'a accordé aucune importance à l'aphasie de Marie. 

Les âmes brisées se complètent.

Et aujourd'hui, elle lui rend visite pour lui dire adieu. La voiture de luxe se gare sur le parking graveleux et avant qu'elle ne sorte, Joris la retient par la main.

-Tu as cinq minutes. Et ne parle pas de cette histoire de dettes.

Cinq minutes... C'est bien trop court pour faire le deuil de sa vie tranquille ! Son grand-père l'accompagne, sa main posée sur son épaule pour la réconforter silencieusement. Quand la jeune femme voit son amie arriver, les traits tirés par l'inquiétude, Marie a le cœur brisé. La vie de ces cinq dernières années à l'hôpital psychiatrique a été éprouvante et voilà qu'elle lui inflige la peine de son départ. 

Elle détaille son amie et remarque avec soulagement qu'elle a pris un peu de poids, signe que son état s'améliore. Son médecin, Romain, est posté derrière elle comme un gardien protecteur. Et rien qu'en voyant la façon dont il la couve du regard, elle devine que sa vie ne pouvait que s'arranger à partir du moment où leurs yeux se sont croisés. Si seulement Marie avait la certitude que tout irait bien pour elle aussi... Si elle avait la certitude de pouvoir connaître un jour le véritable bonheur. Ambre eut l'air paniquée quand elle lui annonça son départ. Et cela n'a rien d'étonnant : tout a été si soudain. Elle ne peut que lui affirmer que tout ira bien, même si elle n'en est pas certaine. 

Des larmes de désespoir lui brûlent les yeux et Joris sonne l'heure du départ. Dans une ultime embrassade avec son grand-père, celui-ci lui chuchote à l'oreille :

-N'oublie jamais que tu es belle, forte et intelligente. Tu as toute ta vie pour trouver le bonheur alors profite quoiqu'il arrive. Vis ta propre vie, ma petite-fille adorée.

Avec une grande émotion, elle se retire des bras protecteurs de son grand-père et suit Joris à l'intérieur de la limousine. A travers ses larmes, elle distingue à peine les visages de Carl, Ambre et Romain qui assistent à son départ. Des visages qu'elle ne va pas revoir avant une éternité...

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